Sarah est une jeune parfumeur à Paris depuis sept ans. Cette année elle a décidé de partir faire un tour du monde afin de découvrir et redécouvrir les matières premières, et le parfum autour du globe. C’est cette aventure que nous vous proposons de suivre avec elle.
Les mots de Sarah :
Je suis parfumeur à Paris, depuis 7 ans maintenant. Aujourd’hui, et dans la dernière année de ma vingtaine, je pars. Plus précisément, autour du monde, sur la route de la récolte de plantes à parfum que je trouverai en chemin. Enfin… celles que j’ai essayé de faire correspondre au plus juste à un itinéraire minutieux prévu sur dix mois, pensé et retourné dans tous les sens.
La décision est tombée, comme souvent dans ma vie et comme le choix de devenir parfumeur, avec une fulgurance impromptue.
Etait-ce là la symbolique des chiffres ? Le 7 ? Ou bien le 30, et le 2020 qui se dessinent ? Si le « pourquoi partir » m’est resté inconnu, j’essaye de m’en formuler le « pourquoi aller ».
« Avoir renversé la matière sur moi m’a rappelé et m’a imprégnée, le mot est juste, bien malgré moi, de son odeur, de son identité. »
Lorsque j’étais stagiaire, je remplissais des flacons, lorsque je me suis renversé sur les genoux, là où la blouse se fend subrepticement en deux à mi-cuisses, 20 grammes d’huile essentielle pure de mandarine jaune… Ô drame, ô désespoir, moi la malheureuse stagiaire. Dans tous mes états, je me rassemble avant d’aller dénoncer mon extrême maladresse, empreinte d’une incommensurable culpabilité, bien décidée à avouer mon crime et prête à assumer les conséquences d’un courroux justifié. La responsable s’esclaffe devant mon air grave, ce n’est rien, et nous avons du stock.
Était-ce le choc du stress associé à cette odeur, ou bien les stimuli olfactifs puissants et répétés pendant plusieurs heures… Avoir renversé la matière sur moi m’a rappelé et m’a imprégnée, le mot est juste, bien malgré moi, de son odeur, de son identité. Dès lors, je me surprenais à reconnaître la mandarine jaune d’entre mille autres. Brute ou savamment travaillée, je la détectais sans faille, et m’amuse maintenant à la vêtir de toute sorte, tant je connais ses lignes.
Pendant sept ans, les matières premières n’ont cessé de me faire voyager, et à mon tour j’ai essayé de faire voyager les gens à travers le parfum.
« Pour m’immerger, dans les cultures du monde. Découvrir les plantes dans leur propre univers, redécouvrir leur odeur.«
Aujourd’hui c’est bien ce processus que je veux retrouver : m’imprégner. Sauf que cette fois, c’est moi qui pars à la renverse des champs, à la renverse du monde. Pour m’immerger, dans les cultures du monde. Découvrir les plantes dans leur propre univers, redécouvrir leur odeur. Humer l’air du vent qui se gorge de leurs soupirs embaumés, travailler moi-même, les récolter des heures durant, essayer de comprendre les gens que je vais rencontrer. Être. Vivre. Ressentir.
Pour enfin peut-être les faire rejaillir, une fois cette expérience, cette essence capturées, macérées, maturées : partager. Cela prendra sans doute des décennies, mais par ce voyage, c’est l’âme du monde que je souhaite sonder et tenter de mettre en flacon. Est-ce ambitieux ? Un brin.
Alors en attendant, je vais me contenter de vous embarquer dans ma petite aventure, par le biais de textes comme celui-ci, d’échanges, de photos, de vidéos et de prises de sons.
Séduits par ce projet Cinquième Sens, Accords &t Parfums, Behave et la Fragrance Foundation France ont souhaité m’aider en me fournissant des contacts de producteurs, du matériel et une formation. Ils m’accordent toute leur confiance pour témoigner de cette expérience.
Dans tout documentaire il y a point de vue, ce serait sans doute insipide de vouloir lisser le mien. Sera-ce le témoignage d’une nouvelle génération, d’une femme, d’un parfumeur ? Les trois c’est certain. Ils ont d’ailleurs tous le vent en poupe, et manquent encore cruellement de voix, les parfumeurs en tête, peut-être.
Lors d’un colloque sur l’art et la parfumerie organisé à La Sorbonne en 2014, une femme de loi avait déclaré que c’était aux parfumeurs de prendre la parole, de diffuser et d’expliquer leur art pour qu’un jour il soit compris et reconnu en tant que tel.
J’ai appris et fait mes armes chez Cinquième Sens, créé par une femme insubordonnée et relancé par une femme intrépide. J’ai l’honneur de faire partie du groupe de parfumeurs d’Accords & Parfums, qui a l’ambition de faire perdurer la vision du philosophe et parfumeur Edmond Roudnitska. Je me sens héritière de ces deux familles, dont les voix se rencontrent et se font écho, et qui résonnent en moi. En suis-je digne, je ne sais pas. Je n’ai d’autre dessin que de partager mon expérience.
Je ne sais pas ce que je vais découvrir, aucune image, aucune odeur, aucun son ne me parviennent encore. Mais quoi que je découvre, je promets d’essayer de vous les retransmettre, pour que chavirent vos émotions.