L’égérie de Guerlain nous ouvre les portes du tournage de « la légende de Shalimar ».
En quelques mois, Natalia Vodianova a tenu deux rôles de grandes amoureuses : Ariane, l’héroïne de « Belle du seigneur », et Mumtaz Mahal, l’épouse adorée de Shah Jahan, empereur moghol qui régna en Inde au XVIIe siècle. D’un mythe à l’autre, que ce soit au cinéma ou pour la publicité, Natalia a réussi à mettre sa beauté, son talent et sa volonté de fer au service de destins hors du commun. Au départ, pourtant, à Gorki (aujourd’hui Nijni Novgorod) où elle est née il y a trente et un ans, son étoile semble éteinte. « J’ai vécu un trauma d’enfance », avoue-t-elle à Marcel Rufo, dans « Psychologies », pour évoquer sa soeur lourdement handicapée et l’argent qui fait toujours défaut à la maison. L’empire soviétique s’est écroulé, elle a 11 ans. Natalia vend des primeurs au marché pour aider sa famille, mais pas question de se laisser broyer par les circonstances ! Elle s’accroche. « Tout était très dur, mais, chez moi, il y avait de l’amour, des liens, une entraide. » Le genre de carburant qui donne des ailes aux gamines rêvant de s’en sortir. A 15 ans, elle s’inscrit dans une académie pour devenir mannequin ; à 17 ans, elle débarque à Paris et signe son contrat avec l’agence Viva. Aujourd’hui, elle est l’une des trois top models les plus célèbres du monde.
Pas question pour autant d’abandonner le cran acquis dans les quartiers dangereux de Nijni Novgorod. En avril dernier, pendant le tournage de « La légende de Shalimar » – le film conçu et réalisé par Bruno Aveillan pour Guerlain, au Rajasthan –, il fait 45 °C. La centaine de personnes qui composent l’équipe peine sous cette chaleur épouvantable, mais Natalia ne se plaint de rien. Elle peut être star, jamais elle ne sera diva. Laurent Boillot, le P-DG de la maison de parfum, a eu l’idée de cette grande fresque qui décline l’histoire d’amour légendaire de Mumtaz et de son mari. « C’est à Agra [dans l’Etat de l’Uttar Pradesh] qu’est né Shalimar, dit- il. Au cours des années 1920, Jacques et Raymond Guerlain, en voyage en Inde, ont découvert le Taj Mahal, les jardins environnants, et s’en sont inspirés. L’un a créé la fragrance, l’autre le flacon en forme de vasque. »
Dans le fort de Jaigarth, la princesse indienne que Natalia interprète prend un bain parfumé au son des sitars et des violons. Bruno Aveillan, diplômé de l’Ecole supérieure des beaux-arts de Toulouse, n’a pas oublié les odalisques sensuelles et voluptueuses de Delacroix et Ingres. Mais la blondeur et la peau très pâle de Natalia nous rappellent qu’il s’agit d’un songe éveillé, d’une fantasmagorie. Dans sa Russie d’origine, Natalia s’imaginait- elle un jour en femme de harem ? « Je regardais beaucoup de films indiens quand j’étais petite, cela faisait partie de notre culture avec les feuilletons mexicains et brésiliens. J’adorais les couleurs, c’était si différent de mon quotidien ! Tout dans ces films n’était que passion et drame. Et puis il y avait la danse… » Depuis, sa vie a largement dépassé tous les rêves des héroïnes bollywoodiennes. « Ce pays est magnifique, intense et inspirant, mais parfois compliqué, explique le réalisateur. Nous avions obtenu l’autorisation de tourner sur le lac de Jaipur. La veille, à 19 heures, changement de cap, on nous l’interdit. Panique totale. Nous envisageons un autre lac, mais il est trop encaissé pour qu’on puisse filmer le lever ou le coucher du soleil. Or j’avais absolument besoin de cette lumière pour ma séquence. Donc, à l’aube, le lendemain, nous nous sommes cachés derrière notre bus et nous avons tourné le plan malgré l’interdiction. »
Quand elle débutait dans le métier de mannequin, Natalia avait fait un court voyage à Goa. « Je ne suis restée que quatre heures pour un shooting avec Peter Lindbergh. Mais je rêvais d’y revenir. » Cette histoire d’amour d’un empereur tout-puissant qui parcourt des milliers de kilomètres pour venir voir sa bien-aimée et finit par lui offrir un palais jaillissant de l’eau, qu’en penset- elle ? « Ce monument est un symbole, celui d’une relation parfaite, construite par amour, c’est touchant. » Elle, dont la devise est « Regarde le but sans t’occuper des obstacles », a gardé un seul mauvais souvenir du tournage : « On m’a poussée sur le lac à bord d’une frêle embarcation à tête de paon. J’y suis restée quelques heures, mille badauds me fixaient au loin sur les berges. En termes d’intimité, j’ai vu beaucoup mieux ! »
Pour Bruno Aveillan, réalisateur multirécompensé, photographe, artiste plasticien, l’implication de Natalia était essentielle. « Son regard à la fin est chargé d’émotion et d’une certaine nostalgie. Un beau travail de comédienne qui clôt le film, sans qu’il soit question de la disparition de l’héroïne, comme le veut la légende. Même si cela l’exprime de façon subliminale et sensible. » Tourné en 35 mm et en anamorphique, avec une équipe française, des grands talents (Hans Zimmer pour la musique, la jeune créatrice de modeYiqing Yin, des effets spéciaux très spectaculaires et poétiques conçus par Digital District), « La légende de Shalimar » est un grand film de six minutes dans sa version longue. A titre d’information, « L’odyssée » de Cartier, un petit bijou publicitaire dirigé par le même réalisateur, a été vu par 200 millions de personnes sur de multiples supports. « La maison Guerlain change d’échelle, souligne son président. Ce film, fresque sublime au souffle épique, est l’expression de notre désir de renforcer notre statut de grande maison de luxe. » Dans ce sens, les événements vont se succéder, le premier étant la réouverture du 68 Champs-Elysées. « Un véritable opéra dédié à la beauté. » La première diffusion de « La légende de Shalimar » (format trois minutes) aura lieu le 28 août, sur TF1. « Une campagne média, des bandesannonces, des diffusions dans les salles de cinéma en lumières éteintes complèteront le dispositif », précise Laurent Boillot. Une superproduction, donc, pour Supernova (le surnom de Natalia). « Je ne crois pas à la chance, dit-elle souvent. Je crois aux choix que l’on fait. »