Delphine Jelk, irrésistiblement Guerlain

A 28 ans, elle a composé La Petite Robe Noire, l’un des parfums les plus vendus en France. Deux ans après, cette passionnée de dessin et de mode, qui adorait fabriquer des potions magiques lorsqu’elle était petite fille, devient parfumeur maison chez Guerlain. À l’occasion de la Journée du Parfum, elle nous raconte son arrivée dans cette maison historique et son métier de parfumeur maison.

Par Lionel Paillès

Delphine Jelk, parfumeur et
directrice de création de la maison Guerlain

DEVENIR PARFUMEUR ÉTAIT-IL UN RÊVE ?

Après le bac, j’avais envie de quitter la Suisse. Je m’y sentais trop à l’étroit. Alors j’ai cherché des études qui pourraient me permettre de m’installer à Paris. J’ai toujours été créative et la mode me semblait être l’option parfaite. Je me suis inscrite à l’école ESMOD où je me suis spécialisée dans le prêt-à-porter masculin. Pour obtenir son diplôme, il fallait créer une collection et j’ai imaginé donner une traduction olfactive au lin et au cashmere. La société DSM-Firmenich m’a accompagnée dans ce travail de création et j’ai ainsi découvert le pouvoir du parfum dont j’ignorais la puissance émotionnelle.

DANS QUELLES CONDITIONS AVEZ-VOUS ÉTÉ NOMMÉE PARFUMEUR DE LA MAISON GUERLAIN ?

J’ai eu la chance de rencontrer Sylvaine Delacourte, en charge du développement des parfums chez Guerlain, à l’époque où j’étais jeune parfumeure à New-York chez Drom. J’avais alors une idée en tête : proposer à la maison Guerlain, un parfum qui parlerait à la jeune génération, à Mademoiselle Guerlain. Quand j’ai vu la Marie Antoinette de Sofia Coppola manger des pâtisseries avec ses Converse dans le Petit Trianon, j’ai su que je tenais mon idée et j’ai créé cette note de macaron framboise-cerise et de rose. Nous avons travaillé sur ce projet pendant deux ans, avec Sylvaine et Ann Caroline Prazan qui a imaginé l’histoire de La Petite Robe noire. Sorti d’abord en 2009 de façon confidentielle, dans les boutiques Guerlain, le parfum a été porté ensuite en 2012 par un lancement international.

La Petite Robe noire, Guerlain

AVEZ-VOUS PARFOIS LE SENTIMENT QUE GUERLAIN ET VOUS ÉTIEZ FAITS POUR VOUS RENCONTRER ?

Je crois aux signes. J’ai découvert Jicky à l’âge de vingt ans et ce parfum composé par Aimé Guerlain en 1889 est devenu le parfum de ma vie. En tant que parfumeure, j’ai une prédilection pour la rose et les notes poudrées, vanillées, amandées, rondes qui signent tous les grands parfums Guerlain. 

QUE SIGNIFIE POUR VOUS ÊTRE PARFUMEUR DE LA MAISON GUERLAIN ?

J’aime cette maison et je crée des parfums dans le respect de l’identité de la Maison. Bien entendu j’insuffle une forme de modernité mais je m’inscris dans une histoire dont je suis l’heureuse héritière, ce dont j’ai pleinement conscience.

UNE NOUVELLE CRÉATION REPRÉSENTE BEAUCOUP DE PRESSION, NON ? 

Créer dans la légèreté est important ! J’ai l’impression que celle ou celui qui porte le parfum finit par sentir une forme de gravité ou d’effort, je mets toujours un peu d’espièglerie dans mes parfums. A croire que j’ai gardé mon âme d’enfant…

S’AGIT-IL D’UN TRAVAIL PARTICULIÈREMENT SOLITAIRE ?

Si l’acte de création lui-même exige calme et solitude, le studio de création que je dirige est composé de plusieurs personnes formidables parmi lesquelles Milène et Gaëlle, toutes les deux assistantes au laboratoire. Alexia, une jeune et prometteuse parfumeure technique et Peggy, responsable de l’évaluation qui m’aide beaucoup dans la reformulation des parfums. Valérie Storme, mon assistante, met du liant dans cette belle mécanique. Cette petite équipe de création est complétée par la partie sourcing des ingrédients, gérée par Eléonore responsable des achats matières premières avec Jackie et Catherine, pour laquelle Thierry Wasser apporte toute son expertise et son aide sur ces sujets liés aux filières matières premières et aux relations avec les producteurs de ces matières précieuses.

VOTRE MÉTIER EST IL SI DIFFÉRENT DE CELUI DE PARFUMEUR D’UNE SOCIÉTÉ DE COMPOSITION ?

J’ai la chance et le luxe de ne pas vivre la compétition au quotidien. Et si la création est le cœur de mon métier et ma passion, elle ne constitue qu’une partie de mon travail. Je participe à la reformulation des 150 parfums de la marque. L’une de mes missions consiste à faire vivre ce patrimoine d’une immense richesse. Je ne fabrique pas simplement mes parfums mais aussi ceux de mes glorieux prédécesseurs.

EN QUOI EST-CE SI IMPORTANT DE S’ADRESSER DIRECTEMENT AUX FOURNISSEURS ?

D’abord je suis garante de la continuité de la qualité des parfums. Une exigence qui passe par le choix attentif et consciencieux de l’ingrédient. Une qualité particulière peut m’inspirer et devenir le point de départ d’un parfum. C’est parce que j’ai choisi une qualité de néroli bio venu du Maroc que l’idée de Néroli Plein Sud m’est venue.

QUEL ASPECT DU MÉTIER VOUS SÉDUIT LE PLUS ?

La page blanche, ce moment où commence la création, l’idée première. Arrêter est en revanche difficile. D’ailleurs, quand arrêter ? J’ai beaucoup de plaisir à parler de ce que je viens de créer : j’aime raconter ce qui ne se voit pas. Voilà pourquoi je travaille toujours avec des mood boards que je partage avec les équipes marketing par exemple.

EST-CE QUE CELA CHANGE FONDAMENTALEMENT LES CHOSES D’ÊTRE UNE FEMME PARFUMEURE ?

Il y a toujours eu une sorte de fascination pour l’homme parfumeur, celui qui crée pour la femme. Probablement parce que le parfum est perçu avant tout comme un objet de séduction. Moi, lorsque je compose un parfum pour une femme, je ne suis pas seulement dans la séduction. Voilà pourquoi j’aime beaucoup notre collection des Aqua Allegoria, ces parfums holistiques inspirés de la nature qui expriment une autre facette de nous-mêmes. Nous revenons à la notion très ancienne du parfum qui « fait du bien », aujourd’hui on veut qu’il nous réconforte, qu’il nous apaise, et j’y crois beaucoup. Il y a du sens que cette croyance puisse être portée par une femme.

Aqua Allegoria Rosa Verde, Guerlain

UN PARFUM ILLUSTRE-T-IL CETTE DIMENSION FEEL-GOOD DU PARFUM ?

Sans aucun doute Rosa verde, dernière-née des Aqua Allegoria, qui sent la rose et le concombre. On ne sait plus si on n’est dans le soin ou dans le parfum, j’aime l’idée qu’il n’y ait plus de frontière. La fraîcheur aquatique et fusante du concombre évoque le frisson vivifiant provoqué par un plongeon dans l’eau. La caresse de la rose se déploie bientôt, comme la vague de bien-être qui gagne le corps sous la surface de l’eau.

QUELQUE CHOSE EN PARTICULIER VOUS FASCINE-IL DANS CETTE MAISON ?

Cette signature unique : un parfum Guerlain est toujours très enveloppant, protecteur, un peu poudré, un peu vanillé… On s’y sent bien, comme dans les bras d’une maman. Addictif !

Ce qui me fait penser à une phrase que j’adore : « je ne sais pas ce que tu portes mais c’est sûr c’est un Guerlain ! ».

A l’occasion de la journée mondiale du parfum, la FFF lance en collaboration avec Madame Figaro une série de trois mini vidéos sur les métiers du parfum à découvrir sur la page Instagram Fragrance Foundation France et Madame Figaro à partir du 21 mars.

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