Ce garçon curieux de tout est ce qu’on appelle d’un nom bien trop réducteur un “parfumeur technique”, en charge depuis 14 ans chez dsm-Firmenich de la plateforme des NaturePrint®. Le métier de Cyril Mestre consiste à capter les odeurs qui l’entourent et de les reconstituer patiemment pour le plus grand bonheur de ses collègues parfumeurs qui héritent ainsi de nouvelles tonalités olfactives.
Par Lionel Paillès
COMMENT DÉCRIRIEZ-VOUS LE NATUREPRINT® ?
Il consiste à capter l’odeur d’une plante, d’un objet ou d’un lieu in vivo et d’en reconstituer le profil sous la forme d’une base (comme le Cassis Base, l’un de nos grands classiques) que le parfumeur pourra intégrer à sa formule. Pour résumer, je dirais que c’est une photographie olfactive à un instant T permettant, contrairement à une extraction classique, de s’affranchir du biorythme de la plante et de la capturer à son pic olfactif (le soir par exemple pour une fleur de tubéreuse).
QUELLE EST LA TECHNOLOGIE QUI SE CACHE DERRIÈRE CE PETIT MIRACLE ?
Il s’agit d’une cloche de verre à l’intérieur de laquelle une sonde constituée d’un matériau poreux vient capter les composants volatils de tout ce qui est parfumé. Ces molécules sont ensuite identifiées par un appareil nommé “chromatographe en phase gazeuse” qui va disséquer l’odeur du végétal ou de la source odorante et dérouler dans l’ordre de volatilité les constituants. Grâce à ces informations, je vais ensuite reconstituer pas à pas le profil de la fleur ou de l’objet.
QU’EST-CE QUI PRÉSIDE À LA CRÉATION D’UN NOUVEAU NATUREPRINT® ?
Je parcours des ouvrages de botanique, je visite des jardins à la recherche de d’essences qui me servent d’inspiration. Je peux décider aussi d’aller me promener dans le parc national du Mercantour pour “chasser” les fleurs alpines. Au cours de mes deux sorties en 2021 et 2022, j’ai réalisé pas moins de huit NarurePrint®. Parfois, l’initiative vient d’un parfumeur (un collègue m’a demandé cette année de capter l’odeur de la levure boulangère) ou encore d’un de nos clients qui peut nous passer commande.
C’ÉTAIT LE CAS POUR LE FLOWER BY KENZO “RÉCOLTE PARISIENNE”, NON ?
La ferme florale de Masami Charlotte Lavault, située à Belleville, a effectivement servi de source d’inspiration à Kenzo. Il y a je crois là-bas, 350 espèces de fleurs. J’ai été capturer l’odeur d’une variété de dahlia aux étonnantes facettes poivrées que Dora Baghriche et Alberto Morillas ont utilisé ensuite dans leur composition.
LE NATURE PRINT® SERT-IL À REMPLACER UN EXTRAIT NATUREL QUI N’EXISTE PAS ?
Lorsque nous ne disposions pas de notre nouvelle technologie FirGood effectivement le Nature Print® permettait d’obtenir un muguet très naturel ou des fruits très expressifs. Mais on peut aussi disposer d’un extrait naturel qui a un profil différent du NP. Une huile essentielle de rose ne sent pas la rose du jardin par exemple. En revanche le NP sera plus figuratif. Autre avantage du NaturePrint® : il est beaucoup moins cher qu’un extrait naturel classique.
LE NATURE PRINT® EST EN PLUS PARFAITEMENT RESPECTUEUX DE LA BIODIVERSITÉ ?
La fleur n’a effectivement pas besoin d’être coupée ni même abimée par le captage. Je viens faire mon prélèvement et je repars une heure après en laissant la nature exactement dans l’état où je l’ai trouvée.
QUELS SONT LES PLUS BEAUX NATURE PRINT® À VOTRE CATALOGUE ?
Nous avons un extrait de jasmin de Grasse, un mimosa dans son environnement du Tanneron (la prouesse a consisté à capter à la fois l’odeur des pompons et de l’air iodé venu de la Méditerranée), mais aussi un melon de Cavaillon délicieux. Notre fraise Mara des bois bien juteuse est très appréciée avec son petit côté fleur d’oranger. Même chose pour notre vanille verte à l’aspect fruité et liquoreux. J’ai obtenu un joli résultat avec le lilas récemment si j’en juge par la réaction des parfumeurs à qui je l’ai fait sentir qui veulent déjà l’intégrer à leurs prochaines compositions.
AVEZ-VOUS CAPTURÉ L’ODEUR DE CHOSES PLUS INÉDITES OU FOLKLORIQUES ?
J’ai réalisé un NP de caviar, de champagne, celui d’un fût de chêne. On a aussi la possibilité de capter l’odeur d’une matière inerte : le cuir, le plastique… J’ai ainsi capté l’odeur d’un disque vinyle ou celle de l’atmosphère d’une friperie.
VOTRE TRAVAIL N’A FINALEMENT PRESQUE AUCUNE LIMITE ?
La seule limite, c’est l’imaginaire ! C’est exact ! Nous avons développé plus de 1000 bases à ce jour et une centaine figurent déjà à la palette de nos parfumeurs. Je dois aussi faire avec la contrainte législative. Les seuils d’utilisation de certains composants qui valent pour les parfums concernent aussi les NaturePrint® qui sont aussi des compositions.
VOUS ARRIVE-T-IL D’AVOIR ENVIE DE CAPTURER UNE ODEUR EN DEHORS DE VOTRE TEMPS DE TRAVAIL, EN VACANCES PAR EXEMPLE ?
C’est drôle que vous me posiez cette question ! Savez-vous qu’il existe une abeille au Mexique, la Melipona — celle qui pollinise naturellement la vanille—, qui fabrique un miel sacré ? Il se trouve que j’assistais un mariage dans ce pays et nous avons effectué un road trip en famille dans le Yucatan, sur la pointe sud-est du pays. Des Mayas fabriquaient du miel très parfumé que ma fille adorait. J’en ai acheté et j’ai fait un captage. Le miel Melipona est devenu un NaturePrint® validé du reste par ma fille qui y a reconnu l’odeur découverte à l’autre bout du monde. Tout, absolument tout peut servir d’inspiration.
