Hirac Gurden et son petit précis de savoir-flair

Par Lionel Paillès

De quoi peut bien se souvenir un homme né en Turquie de parents arméniens, et qui a quitté son pays pour la France à l’âge de dix ans ? Des odeurs. D’abord des odeurs. Celles de l’encens à base d’oliban et de benjoin, qui brûle les dimanches dans les églises orthodoxes, celles aussi du savon à l’huile d’olive des hammams de son quartier.

Hirac Gurden; Directeur de recherche en neurosciences au CNRS

Directeur de recherche en neurosciences au CNRS, spécialiste des mécanismes cérébraux des cinq sens et particulièrement de l’odorat, Hirac Gurden ne se lasse pas de raconter, avec quelques accents proustiens, que les souvenirs olfactifs s’inscrivent en nous dans les premiers jours de l’enfance pour ne plus jamais nous quitter. « En vieillissant, on perd l’ouïe, la vue mais pas l’odorat ». Lui se souvient comme si c’était hier du riz au lait du goûter sur lequel son père versait un peu de poudre de cannelle. Une odeur qui le transporte en une fraction de seconde à Bakirköy, la ville de son enfance.

Ce scientifique affable vient de publier Sentir, comment les odeurs agissent sur notre cerveau, récit scientifique autant qu’autobiographique. Dans ce livre érudit, il explique tour à tour que les Égyptiens de l’Antiquité assimilaient les senteurs des plantes à la « sueur des dieux » et pourquoi c’est l’odorat qui est la source du plaisir ou du dégoût vis-à-vis d’un plat ou d’un aliment. Il révèle que le lait maternel, « l’un des liquides corporels les plus riches et complexes en molécules odorantes », contient du Maltol, mélange de praline et de caramel pouvant faire penser à la barbe à papa. Est-ce un hasard si les parfums les plus vendus au monde depuis le début des années 90 (Angel de Mugler en tête) contiennent eux aussi de fortes quantités de Maltol ? Ce merveilleux vulgarisateur n’omet pas de raconter comment les chercheurs du laboratoire Pfizer ont découvert en 1951, complètement par hasard, l’odeur de la mer en parfumerie (la molécule de Calone®) en cherchant à développer une nouvelle génération d’anxiolytiques. Marqueur de propreté, d’hygiène et de fraicheur marine, cette molécule fut à l’origine du succès de beaucoup de parfums des années 90 (L’eau d’Issey, Acqua di Gió, Cool water woman).

Sentir, comment les odeurs agissent sur notre cerveau, par Hirac Gurden

Le sens de l’odorat décrié par les philosophes 

En passant, Hirac Gurden réfute l’idée reçue selon laquelle Homo Sapiens serait un médiocre animal olfactif au nez limité. « Nous sommes des êtres totalement olfactifs qui disposons de 400 types de récepteurs olfactifs, qui vont s’activer différemment en fonction des molécules odorantes que nous respirons, et 10 millions de neurones olfactifs, qui sont nos cellules détectrices d’odeurs ». De quoi détecter des milliards d’odeurs différentes. En somme, nous sommes dotés de super pouvoirs olfactifs que nous n’utilisons que bien peu. La faute aux philosophes qui ont toujours méprisé, depuis Aristote jusqu’à Descartes, ce sens “animal”, beaucoup trop incontrôlable, donc dangereux. Au fil de son récit, l’infatigable pédagogue pointe un drôle de paradoxe : l’épidémie de Covid, en nous faisant découvrir le phénomène de l’anosmie, nous a permis aussi de comprendre l’importance de l’odorat. Et d’évoquer la perte de plaisir liée à celle de l’odorat.

Référent scientifique de l’association Anosmie.org depuis 2018, Hirac Gurden a développé avec son fondateur Jean-Michel Maillard un protocole complet de rééducation olfactive. « Il consiste, avant le petit déjeuner, à sentir pendant quelques secondes quatre huiles essentielles différentes, complémentaires ». Le neuroscientifique estime à 80 % le taux de récupération chez les personnes qui démarrent une rééducation olfactive et qui s’y tiennent pendant au moins trois mois sans interruption. Si l’ouvrage se démarque de tant d’autres, c’est qu’il propose une approche vivante, à odeur d’hommes, accessible à tous. En alternant souvenirs personnels et références scientifiques, le directeur de recherche entend non seulement faire partager son amour des odeurs mais redonner à l’odorat toute la place qu’il mérite.

A lire : Sentir, comment les odeurs agissent sur notre cerveau, 256 pages, Editions Les Arènes.

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