Par Lionel Paillès
Comprendre le comportement des consommateurs
Head of Global Marketing Insight & Image Fine Fragrance. Arnaud Guggenbuhl est le premier à s’en amuser. Voilà un directeur marketing de l’industrie du parfum parmi les plus originaux et atypiques. Par son parcours d’abord : diplôme de vétérinaire (« j’ai toujours été passionné par les sciences du vivant »), un autre en marketing décroché à l’ESSEC et puis un passage chez Unilever, L’Oréal professionnel et enfin chez le japonais Takasago où il découvre enfin sa vraie vocation : la compréhension des comportements des consommateurs. Arrivé chez Givaudan en 2016, Arnaud Guggenbuhl applique à la fine fragrance les connaissances acquises sur tous les autres segments du marché de la beauté avec une solide conviction : le parfum est la caisse de résonnance de tout ce qui se passe dans la société. « Ma matière à moi, c’est la sociologie, voire l’ethnologie. Je cherche à être au plus près du consommateur pour détecter ses futurs besoins et envies », explique ce garçon curieux de tout et de tous. Il préfère parler de démarche prospective que d’analyse des tendances comme peuvent le faire certaines agences. Après s’être nourri d’expositions, de voyages, d’écoute attentive des réseaux sociaux, et de datas en tous genres, une première idée s’ébauche avec un point de vue toujours en léger décalage avec la pensée dominante. « J’interviens entre les briefs. Je cherche à donner des directions qui font réfléchir sur le temps long ». Et d’ajouter dans un sourire : « Mon travail consiste à ouvrir les chakras des parfumeurs de Givaudan mais aussi de nos clients ».
Explorer la gourmandise en parfumerie
Interroger les nouveaux usages du parfum en déconstruisant les idées reçues, c’est une chose. Mettre en scène cette observation en est une autre. Car à chaque fois qu’une piste de réflexion est identifiée, il imagine également la forme que pourra prendre la restitution avec une préférence pour la dimension immersive.
La première fois qu’il s’illustre, c’est en 2017 avec le projet baptisé Delight. « L’idée était d’explorer le thème de l’oralité en associant les savoir-faire des aromaticiens et des parfumeurs pour créer de nouvelles bases qui apportent aux parfums des textures et des facettes inédites ». Les créations originales proposées par les parfumeurs de Givaudan sont destinées à déclencher des émotions inconscientes et un plaisir immédiat sur celle ou celui qui ressent le parfum. Dans cette démonstration, cet observateur avisé de notre rapport au parfum fait un pas de côté pour ne pas traiter frontalement de cette tarte à la crème qu’est devenue la gourmandise en parfumerie. Il innove aussi dans les tests consommateurs en décryptant le comportement non verbal (les réaction physiologiques) face à ces nouvelles créations.
Une puissance atmosphérique
My Bloom, nouvelle vision créative qui a été présentée en France et un peu partout dans le monde en 2019, explore la notion d’extimité en parfum. Autrement dit, comment partager sa vérité et son authenticité en portant un parfum qui diffuse.
« L’enjeu technique pour les parfumeurs était de réinventer la notion de puissance, une puissance plus “atmosphérique”, avec moins de notes de tête dans la composition », ajoute-t-il. Cette intuition qu’il a eue date d’avant l’épidémie de Covid qui n’a fait qu’amplifier ce phénomène du parfum plus intimiste qui s’est traduit avec Pure Musc de Narciso Rodriguez ou Idôle de Lancôme.
Dernier évènement en date organisé par ce prospectiviste qui ne dit pas son nom : What is love ? Un projet dont le sous-titre pourrait être : comment traduire le langage amoureux de la génération Z en parfums.
Cette fois-ci, le pas de côté est double. Arnaud Guggenbuhl choisit de cibler cette génération qu’il juge mal comprise et trop « caricaturée » (on disait notamment qu’elle se désengageait du parfum) et de réinvestir le thème du couple et de l’amour qui disparaît peu à peu de la communication autour du parfum. « Notre ambition est aussi d’innover en proposant de nouvelles façons de sentir : des films olfactifs aux sweat-shirts », ajoute le directeur marketing. Toujours très attendus, ces événements sont ouverts prioritairement aux clients de Givaudan (les marques du sélectif et de la niche) mais aussi aux journalistes et influenceurs. Il tient particulièrement à s’adresser à ces deux publics même si les présentations ne les réunissent pas. « Je pense qu’une société comme Givaudan a vocation à réfléchir par elle-même, en dehors des marques qui la missionnent. D’ailleurs, je crois que démontrer cette agilité finit par faire envie aux marques et fait de Givaudan un partenaire de choix ».