Alexandra Richard, âme fleur

Par Lionel Paillès

Il faut se lever de bonne heure pour avoir la chance d’apercevoir sa silhouette se faufiler hors de la petite maison en pierre, suivie de son chien Saya. On ne peut pas s’empêcher de penser à Manon des Sources. La petite trentaine, Alexandra Richard vit et travaille dans le vallon de Mailla, qui délimite les communes de Montauroux et Callian (Var). Sur ce terrain qui n’était plus exploité depuis une trentaine d’années, la jeune femme a replanté 5 000 m2 de jasmin, soit un total de 6 000 plants alignés sur cinq parcelles. Au lever du jour, quelques formes humaines s’agitent dans le champ. Alexandra pratique la cueillette manuelle, tradition séculaire qu’elle a apprise chez Alain Rebuffel, sur l’exploitation du Clos Notre-Dame où elle fut cueilleuse elle-même. Depuis qu’elle s’est mise à son compte, Aurélie et Agnieszka viennent lui prêter main forte pour la récolte, de mi-juillet à début novembre. Sa sœur est également présente depuis le départ. « Ma mère aussi m’a donné un sacré coup de main cette année », ajoute-t-elle.

Vers 9h30, il fait déjà bien chaud. L’ambiance est chaleureuse et volontiers bavarde. Cela aussi fait partie du rituel de la récolte : on discute, on prend des nouvelles des enfants, de la famille. « Le jasmin est la fleur du bonheur par excellence et sa récolte doit se dérouler dans la bonne humeur », lance-t-elle en humant une poignée de pétales emprisonnés au creux de sa main. Un, deux, trois, quatre, cinq longs pétales. Voilà à quoi l’on reconnaît au premier coup d’œil jasminum grandiflorum, variété très florifère de jasmin dit « de Grasse ». On parle aussi de plus en plus de « jasmin pays ». Alexandra Richard aime partager avec les visiteurs — à commencer par les parfumeurs de dsm-Firmenich— la magie de cette splendeur olfactive qu’elle affectionne au point de lui avoir consacré une partie de sa vie. Dans ce vallon protégé, le sol perméable, bien drainé, largement irrigué, avec un bel ensoleillement, offre des conditions optimales à la culture du jasmin. L’humidité qui vient de la mer participe aussi à l’épanouissement de “la fleur” (le nom donné au jasmin) et lui offre ses effluves incomparables. « Chaque jour, nous récoltons environs 5 kilos de fleurs », explique Alexandra Richard. « Un seul kilo représentant 7000 à 10000 fleurs ». Dès la fin de la récolte, lorsqu’il n’y a plus la moindre tache de blanc sur les arbrisseaux, un camion de dsm-Firmenich achemine les fleurs jusqu’à l’usine de Grasse. L’extraction doit commencer aussitôt que possible, tant que la fleur dispose de tout son potentiel olfactif. L’absolu obtenu n’en sera que plus riche et facetté. 

Une fleur aussi fragile qu’odoriférante

Dans une chorégraphie parfaitement maîtrisée car maintes et maintes fois répétée, les fleurs délicates sont pincées une à une, puis arrachées d’un geste souple, avec la queue, pour éviter que les pétales ne tombent. Les cueilleuses utilisent obligatoirement leurs deux mains du fait de la grande fragilité de la fleur, qui rend le travail particulièrement délicat. Les paniers d’osier se remplissent à vue d’œil de pétales d’un blanc lumineux. « Depuis 6 ans que je suis installée, aucune année ne ressemble à la précédente en termes de quantités récoltées », constate Alexandra. Pour éviter les conséquences des aléas climatiques sur les variations de revenus, Alexandra Richard a préféré signer un contrat de partenariat exclusif avec la société dsm-Firmenich. Ce contrat d’une durée de cinq années (renouvelables) consolide la viabilité de son exploitation en ceci que la société s’engage à acheter chaque année la totalité de sa production de fleurs, soit 80 kilos la première année, 250 kilos l’année suivante et 350 kilos environ cette année alors que la floraison n’est pas encore achevée. En travaillant en exclusivité pour la société suisse, Alexandra bénéficie d’une autre satisfaction : savoir que les fleurs qu’elle a récoltées à la sueur de son front entrent dans la composition d’un célèbre parfum du marché. C’est le cas par exemple de Fame de Paco Rabanne où le jasmin d’Alexandra flirte avec l’encens et la mangue.

Pendant les quatre mois que dure la récolte, Alexandra ne peut s’offrir le moindre jour de repos. Le reste du temps, la cultivatrice peut lever le pied tout en gardant un œil sur ses précieuses plantations. Plante fragile et exigeante, le jasmin a besoin qu’on s’occupe de lui presque toute l’année, avec de loin en loin quelques rendez-vous qu’il ne faut surtout pas manquer. Dès les premiers frimas de novembre, il s’agit de “butter” les pieds de jasmin, plante beaucoup plus gélive que la rose de mai cultivée tout près d’ici, c’est-à-dire relever la terre pour les recouvrir et les protéger des basses températures de l’hiver. Lorsque l’hiver s’éloigne, et qu’on ne craint plus les gels tardifs, à partir des mois de février ou de mars, on procède enfin au débuttage en déchaussant les pieds de jasmin de l’amas de terre qui les recouvrait, et les réchauffait. La jeune femme mobilise encore le peu de force physique qui lui reste avant cette saison interminable. Quand on évoque l’éventualité d’agrandir ses parcelles pour mieux gagner sa vie, elle rétorque : « Je tiens à rester sur un modèle d’agriculture paysanne ». À cette décision d’étendre les surfaces,l’agricultrice a préféré planter un peu de rose (1000 m2), de l’iris aussi (300 m2) et même deux rangs de géranium rosat. Avec les olives et les framboises, ces cultures de fleurs à parfum fourniront à l’exploitation un complément de revenus non négligeable.

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