Par Lionel Paillès
Stephane a réalisé ce que beaucoup rêvent de faire : il a inventé son métier.
Pourtant, disons les choses, la dimension créative n’était pas forcément perceptible dans son parcours. Qu’y a-t-il de plus éloigné du métier de la création parfumistique que la recherche fondamentale ? Car Stéphane Demaison, ingénieur chimiste de formation s’était voué à la recherche. Un stage chez Rhône-Poulenc, géant de la chimie pharmaceutique, lui fait comprendre qu’il fait fausse route. « J’avais saisi que la solitude de la recherche n’était pas pour moi ». Un Master plus tard, le scientifique bifurque vers le marketing. Premier stage au sein d’un département cosmétique, et première rencontre déterminante. « la Directrice de création des parfums, m’a fait découvrir le monde merveilleux des matières premières de façon tout à fait informelle ». Cette initiation olfactive infuse en lui. A son retour du service miliaire, il est recontacté pour rejoindre un service marketing comme responsable des parfums masculins. Une deuxième fois, Stéphane Demaison comprend qu’il n’est pas tout à fait à sa place : « Je voyais bien que j’étais chef d’orchestre mais que je ne jouais d’aucun instrument ». Entré comme commercial chez DSM-Firmenich, il y fait la connaissance de la parfumeuse Annick Menardo, à qui l’on doit Boss Bottled, , qui le prend sous son aile. Une autre rencontre qui va changer sa vie à tout jamais. « J’ai passé beaucoup de temps dans son bureau. Elle me faisait sentir des tas de notes et me parlait des ingrédients, de leur interaction, des dosages ». Ça ne fait plus aucun doute : c’est le développement de parfum qui l’intéresse.
Une rencontre déterminante
En 2006, Stéphane saisit l’opportunité de rejoindre la cellule olfactive de l’Oréal. Il fait ses gammes et apprend les secrets du développement olfactif. Ce transfert est aussi l’occasion d’une rencontre essentielle : Sue Nabi. Appelé ensuite en 2016 chez BPI, pour créer une nouvelle cellule olfactive, il acquiert une plus grande sensibilité à l’identité des marques qu’il mettra bientôt au service d’un autre groupe. Sue Nabi, nouvelle CEO de Coty demande en effet à ce curieux de tout, qui n’aime que les parfums signés, qui ont des choses à raconter sur la durée, d’installer un département olfactif au sein du groupe qui crée et distribue les parfums des marques Chloé, Hugo Boss, Calvin Klein ou encore Burberry.
Entre innovation et création
Inventer le métier de ses rêves, ça arrive tout au plus une fois dans une carrière ; Stéphane Demaison vit ce rêve pour la seconde fois et n’en finit pas de s’en réjouir. Pendant toutes ces années, il a construit un goût et une conviction : la fragrance doit être au centre de toutes les préoccupations. « C’est la raison pour laquelle j’accorde au parfumeur plus de temps, plus de moyens et surtout de liberté qu’ailleurs ». Le Studio joue le rôle d’une direction artistique. « Nous fixons au parfumeur le but à atteindre et le chemin à emprunter dans un esprit de co-création auquel je suis attaché », précise ce garçon posé et élégant. A quoi ressemble le Studio, cette nouvelle entité ? Une équipe d’experts triés sur le volet avec une grande connaissance des tendances du marché, des ingrédients et des parfumeurs. « Nous sommes six aujourd’hui. Chacun est dédié à une marque en particulier afin d’en maîtriser l’esprit, l’histoire, l’ADN ». Stéphane reconnaît s’intéresser de près aux grands mouvements sociétaux qui influencent les comportements de consommation.
Autre fonction: le développement d’extractions exclusives en collaboration avec les sociétés de composition. Et de prendre l’exemple du quatuor de vanilles de Goddess Eau de Parfum Intense de Burberry. « Nous avions identifié la vanille comme la nouvelle note gourmande premium post-covid. Nos partenaires ont mis à notre disposition à la fois une infusion, un absolu, un extrait CO2 et un extrait Firgood (DSM-Firmenich). Nous avons proposé aux équipes de Burberry de construire leur vanille aromatique autour de toutes ces facettes qui donne au parfum toute sa richesse ». Dans la stratégie de création qu’il a mise en place en arrivant chez Coty, Stéphane a contribué à modifier l’approche du test consommateur. « Certains projets nécessitent des tests, d’autres peuvent au contraire en pâtir. Nous nous donnons la liberté de ne pas tester une création plus “niche” et de m’en remettre à notre seule conviction ». En prise directe avec l’innovation et la création, ce qu’il aime le plus, c’est de vivre plusieurs vies par jour : nez dans les matières premières un matin, échange téléphonique avec un parfumeur l’après-midi, réunion stratégique avec une marque le soir. A la place où il est aujourd’hui, il œuvre dans l’ombre —celle du designer de la signature olfactive de la marque, celle aussi du parfumeur—, ce qui ne lui déplait franchement pas.