Que ceux qui n’aiment pas la fleur d’oranger lèvent le doigt

Par Lionel Paillès

On ne lui connait pas de détracteurs. Bonne fille, la fleur d’oranger n’attire que la sympathie. Voilà pourquoi celle qui peut se vanter d’être l’une des trois fleurs les plus versées dans les flacons — avec la rose et le jasmin— brille de sa présence dans tous les parfums du moment, féminins comme masculins. Son parfum, vif, pétillant et vert pour l’huile essentielle, plus profond, chaud, miellé, floral et animal pour l’absolu, évoque tour à tour la féminité et la douceur de l’enfance. « Elle me rappelle la fougasette des goûters de mon enfance. C’est ma madeleine de Proust à moi », raconte Agnès Webster, PDG de Fragonard. Lorsqu’elle prend la direction artistique de la maison, elle demande immédiatement à Daniela Andrier (Givaudan) de lui composer une fleur d’oranger étincelante qui est devenue le best-seller de la maison et même une sorte de mètre-étalon parmi les parfumeurs qui la citent en exemple.

Chez Fragonard, elle s’exprime dans plusieurs propositions. Dans un genre différent de la fleur d’oranger initiale, un peu moins régressif, il y a Belle d’Arles — dans une version orientale— et Bel oranger, un beau boisé cèdre-patchouli au cœur de fleur d’oranger. « Pour beaucoup, la fleur d’oranger est un refuge, un cocon chaleureux où l’on revient quand le besoin s’en fait sentir. Des jeunes femmes m’ont confié s’envelopper dans un nuage fleur d’oranger le jour d’un examen un peu stressant », poursuit Agnès Webster.

Autre grand amoureux de la fleur d’oranger, le grassois Fabrice Pellegrin en a proposé dans sa carrière plusieurs interprétations avec L’eau parfumée bienfaisante Néroli de Roger & Gallet, La fille de l’air de Courrèges ou plus récemment Néroli des Lunes plein de candeur et de générosité de Petite Madeleine. « Cette fleur blanche symbole de pureté et de virginité n’a ni l’inconvénient du jasmin (très animal) ni le petit défaut de la tubéreuse (un peu trop médicamenteuse) », constate le parfumeur principal de DSM-Firmenich et directeur de l’innovation des produits naturels de la société.

De la plus candide à la plus féminine, de Zante chez Memo signé Sophie Labbé (DSM-Firmenich) à Néroli Botanica chez Essential Parfums, fleur d’oranger boisée-épicée à la personnalité androgyne que l’on doit à Anne Flipo (IFF), c’est comme si la fleur d’oranger était suffisamment protéiforme et malléable pour contenter chacune et chacun. Alexandra Carlin la voit tout aussi universelle que la vanille. « La fleur d’oranger est présente dans mes tout premiers souvenirs olfactifs à travers Tartine et Chocolat et le Mustela dont me badigeonnait ma mère », se souvient le parfumeur de la société Symrise. Le parfum Villa Néroli qu’elle a signé pour la marque BDK célèbre la joie d’un coucher de soleil sur l’ile de Capri par la suavité miellée de l’absolu de fleur d’oranger. Preuve qu’elle est incontournable, capable d’incarner une sorte d’addiction moderne, elle fait aussi l’objet de mini-collections.

Pour sa marque éponyme qui exprime cinq visions d’une même matière première, Sylvaine Delacourte, ex-directrice du développement parfum chez Guerlain, apporte une touche d’inattendu en explorant d’autres voies : une fleur d’oranger glacée (Oranzo) et une fleur d’oranger aux facettes cuirées (Ozkan).

La fleur d’oranger est partout, dans la niche comme dans la parfumerie sélective. Elle s’affiche été comme hiver, oubliant qu’elle était soumise autrefois à une saisonnalité comme la rose ou le jasmin. Cette senteur gorgée de soleil se marie avec presque toutes les familles olfactives.

Chanel ne s’y est pas trompé qui a replanté 700 bigaradiers (orangers amers) à Vallauris afin de sauver cette filière en agriculture biologique. Il faut dire que la fleur blanche, si elle n’est pas une fleur traditionnelle pour la maison au double C, est traitée en majesté dans l’eau fraiche Paris-Riviera, traduisant « l’esprit joyeux de la côte d’Azur des années 20 ».

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