C’est à Lille, à la Villa Cavrois, fleuron de l’architecture moderniste imaginé par Robert Mallet-Stevens, que Christine Nagel a choisi de présenter sa dernière création : Barénia. Ce grand féminin, la maison en rêvait depuis longtemps. Rencontre avec la créatrice qui n’en finit plus de surprendre et d’imprimer son style sur la parfumerie de la maison du faubourg Saint-Honoré.
Propos recueillis par Lionel Paillès
Dans quel état d’esprit étiez-vous quand Hermès vous a demandé de composer un nouveau grand féminin ?
J’ai commencé à travailler cette note en totale liberté, sans demande particulière de la maison. La liberté de création qui nous est offerte chez Hermès est absolument unique. Elle nous autorise le choix des sujets traités. Le temps de la création est l’autre singularité d’Hermès : il n’y a pas de temps imparti, aucune limite ni délai. Ce que je peux dire, c’est qu’en arrivant chez Hermès, il y a maintenant 10 ans, j’avais la certitude que j’allais composer un “chypre” [un accord structuré autour de la bergamote, de la mousse de chêne, du patchouli et d’un cœur floral, NDLR] un jour pour cette maison.
Le cuir Barénia, qui donne son nom au parfum, a-t-il été le point de départ de votre travail ?
La vérité c’est que le parfum préexistait à son nom. Barénia est ce qu’on pourrait appeler un cuir métaphorique. C’est la sensation de ce cuir qu’on retrouve dans la composition, pas son odeur. Le Barénia est un cuir naturel, une peau lisse et douce au toucher utilisée à l’origine pour fabriquer les selles. On dit dans la maison qu’il “rend la caresse” : il se façonne avec le temps, au seul contact de la peau. Exactement comme le parfum chypré que la peau aimante et s’approprie pour toujours dans un cœur à cœur fusionnel.
Le chypre est une structure abstraite, parfois un peu difficile d’accès. Comment avez-vous fait pour réinventer cet archétype de la parfumerie ?
Même si je connais bien la structure du Chypre, que je la chérie depuis toujours [elle a notamment composé For Her pour Narciso Rodriguez et Si pour Armani, deux grands chypre modernes], il fallait que celui-ci soit différent et reconnaissable. Je me souviens encore de mon premier essai. Comprenant que je tenais quelque chose d’intéressant, j’y revenais toujours mais sans aucune pression puisque je travaillais sans commande. J’ai cheminé avec lui pendant de nombreuses années, en le gardant secrètement pour moi. Pendant longtemps, il a été mon secret.
J’ai l’impression que vous n’imaginez jamais une création sans innovation. Qu’y a-t-il de si novateur dans ce parfum ?
La recherche, les biotechnologies, la synthèse répondent à ma curiosité incessante, celle d’oser des accords nouveaux. C’est tout à fait vrai pour Barénia dans l’association d’un patchouli à l’ancienne et d’un patchouli issu des biotechnologies, l’Akigalawood® de la société Givaudan. C’est aussi le cas du lys papillon qui n’a jamais été utilisé en parfumerie auparavant. Nous partageons, la maison Hermès et moi-même, ce goût immodéré du pas de côté.
Et comme toujours avec Hermès, tout fini par un sourire. Pouvez-vous nous parler de cette petite baie miraculeuse ?
Enfant, j’étais fascinée par la collection de livres “Contes et Légendes” et lisais ces histoires venues du monde entier. Dans un recueil de légendes africaines, j’ai découvert l’histoire d’un magicien vivant dans un baobab, qui avait un pouvoir enchanteur. Il avait trouvé une baie magique qui rendait « doux ce qui était amer, même les caractères ». Cette phrase s’est ancrée dans mon imaginaire, une sorte de ritournelle qui se rappelait régulièrement à moi depuis que je suis parfumeur. J’ai constamment cherché les références à cette baie sur Internet sans jamais rien trouver. Mais je suis tenace et il y a 3 ans j’ai découvert qu’il existait effectivement une petite baie rouge en Afrique, au Ghana et au Bénin, qui a pour nom la “baie miraculeuse”. Elle contient une molécule qui s’appelle la miraculine qui tapisse le palais d’un film invisible et qui rend tout plus doux. J’ai donc commandé 15 kilos de ce petit fruit rouge dont j’ai voulu faire un extrait. Le résultat n’était pas concluant olfactivement mais j’ai pu recomposer moi-même son odeur légèrement abricotée.
Quel rôle joue cette baie dans la composition ?
Elle adoucit le caractère chypré du parfum, elle lui apporte de la souplesse pour le rendre immédiatement addictif. Le plaisir sans la gourmandise en quelque sorte.
On vous sent particulièrement fière de cette création. Je me trompe ?
Ce parfum incarne l’aboutissement de tout ce que j’ai appris chez Hermès. Il rassemble toutes les valeurs de la maison : l’exigence, l’audace, la qualité. Je trouve qu’il y a quelque chose de magnifique de se dire que Barénia a grandi en moi en même temps que je me familiarisais avec la maison.