Chloé, l’Eau de Parfum Intense : une histoire de famille

Cet automne, le maître parfumeur Michel Almairac revient avec une version toujours plus forte et radieuse de Chloé : l’Eau de Parfum Intense. Écrite à deux sensibilités, avec son fils Romain. Interview croisée.

Par Marie-Bénédicte Gauthier

Longtemps, les dynasties de parfumeurs ont fait la pluie et le beau temps … Surtout en terre Grassoise où l’on évoluait au milieu des effluves d’alambic ! Comment voyez-vous cette idée de transmission à l’aune de 2025 ?

M.A : La transmission s’est libérée du carcan familial si j’ose dire. Au-delà de sceller un nom dans l’histoire du parfum, l’idée de liberté prime. Chacun ayant un point de vue olfactif différent, capable d’enrichir l’autre, des envies et des compétences complémentaires. La transmission, c’est avoir un langage culturel commun et le cultiver différemment.

R.A : Notre père a su nous insuffler la passion des senteurs et c’est valable pour toute notre famille. Mais chacun a sa vision. Mon frère Benjamin par exemple s’est très vite immergé dans cette passion avec une boutique labo d’un nouveau genre « Parle-moi de Parfum », aidé par ma mère qui a conçu une partie de la déco !

Romain, pouvez-vous évoquer la genèse de votre parcours ?

R.A : Si je devais utiliser un mot je dirais atypique ! Bien sûr j’ai toujours eu une appétence pour le métier, les matières premières, l’industrie. J’ai débuté dans les métiers du parfum il y a 19 ans, en tant que commercial chez Robertet. A ce sujet, mon père peut vous dire que dans les années 90, les parfumeurs étaient aussi d’excellents commerciaux avec une connaissance à 360° de leur métier … Mais bon en effet, passer de commercial à Parfumeur, ça n’existe pas vraiment. Mon training de Parfumeur, je l’ai effectué en parallèle, comme tout apprenti. Le parfum est un sport de haut niveau, il faut travailler, travailler. J’ai eu le privilège d’évoluer aux côtés de mon père principalement, mais aussi de Sidonie Lancesseur, Jérôme Épinette, Mylène Alran (aujourd’hui chez Givaudan) ou Amandine Clerc-Marie (aujourd’hui chez DSM-Firmenich).

M.A : J’ajoute que le déclic est venu de Romain. Je suis heureux que cela se soit fait naturellement pour lui, parallèlement à son travail de commercial. J’ai d’ailleurs toujours estimé qu’un bon commercial devait avoir une acuité culturelle sur tous les sujets du parfum. Aujourd’hui, il a choisi le métier de parfumeur à 100 %, c’est bien.

Vous avez des matières fétiches en commun ?

M.A : Pour moi la Rose, ce n’est pas vraiment un scoop ! Depuis ma formation chez Roure, parce qu’il y avait dans l’école ces boites en fer-blanc remplies de petites fioles pour apprendre les accords. Ma préférée contenait une essence de rose et d’autres matières comme le cèdre, le patchouli, le vétiver. Il fallait travailler accords et désaccords, découvrir les meilleurs dosages. J’ai tenté mille choses. Aujourd’hui la rose est encore un réservoir infini d’émotions.

R.A : Moi je suis fasciné par la fleur d’oranger et son impact fou dans les compositions. J’ai une obsession aussi pour le vétiver, celui de Java, beaucoup plus fumé que celui d’Haïti. Et je fais feu de tout bois, santal, cèdre, agar… Sans oublier le patchouli, ses feuilles duveteuses, son aura chaleureuse qui me transporte. D’une manière générale, travaillant chez Robertet, nous avons la chance d’avoir accès à des naturels d’exception.

Dans le domaine de l’art, on connait les dynasties comme les Renoir.  Mais ils travaillaient rarement à quatre mains (ou plus) comme dans la parfumerie ! Comment s’envisage la co-création en famille, celle du dernier opus de Chloé par exemple ?

M.A : De la même façon qu’avec un autre parfumeur, lorsque l’on jongle d’une idée à l’autre en équipe, en mettant en perspective nos différents styles. A un moment, on flaire quelque chose de nouveau, le juste équilibre. Avec Romain on a un discours sur le parfum qui est à peu près le même, je crois que cela facilite les choses même si chacun apporte ses idées. Si je n’avais pas travaillé avec Romain, j’aurais été en quelque sorte en retenue par rapport à l’original. Lui a su aller plus loin, transgresser pour avancer vers quelque chose de nouveau et je le félicite pour ça.

R.A : Ce qui est drôle c’est qu’en tant que commercial j’avais suivi différents Chloé, dont celui que Michel avait signé avec Amandine Clerc-Marie. J’ai assimilé ces différents crus, me suis imprégné en amont de l’ADN de cette belle histoire, je me sentais prêt à y apporter une patte personnelle. Il y avait en filigrane cette rose emblématique, signature maison, je me suis penché sur cette note intemporelle avec beaucoup d’humilité et d’excitation.

Ce savoir-faire, savoir penser, résonne bien avec l’esprit Chloé … Pouvez-vous évoquer plus précisément ce nouveau bouquet ?

M.A : L’équipe de Coty dont Emmanuel Greze-Mazurel et Caroline Javoy – elle avait initié le premier Chloé – ont eu un seul mot d’ordre : « ne vous privez pas d’aller là où vous voulez aller » … Une injonction rêvée pour des parfumeurs. D’habitude on nous demande de changer un jus le moins possible tout en y apportant de la nouveauté, là il fallait tout déconstruire, quitte à revenir sur la signature Chloé ! On est parti sur une rose en trois dimensions, soutenue par des bois ambrés. Les parfums Chloé sont connus pour leur verticalité, leur côté très direct de la tête au fond, cette version intense est portée à son paroxysme. Et il y a cette note framboise qui éclabousse le jus d’un bel élan coloré …

R.A : Avec mon côté un peu commercial, j’ai eu l’idée de forcer sur la framboise, cette note fruitée qui inaugure une nouvelle gourmandise, juteuse sans être sucrée. J’ai voulu voir si ça marchait en tête, ç’était tout sauf timide, ça restait dans les codes coutures de la Maison Française. Car ici, rien ne vient dénaturer la signature rose-litchi de Chloé, elle est juste ourlée différemment, avec une intensité incroyable sur peau.

Vous avez d’autres projets en duo ?

M.A : Bien sûr, pour différentes maisons. J’ai grandi à Grasse, mon fils à Paris, on a un langage parfumé commun, bercé par cette subtile différence qui fait les bons duos. Même si chacun trace sa route olfactive avec d’autres projets, seul ou co-écrits avec d’autres parfumeurs. L’énergie créative c’est être en mouvement constant.

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