Nez à nez avec Charlotte Urbain, Directrice de la culture et de la communication de la Maison Fragonard

Charlotte Urbain, Directrice de la culture et de la
communication de la Maison Fragonard

Par Marie Bénédicte Gauthier

Trois usines, trois musées, un patrimoine culturel exceptionnel et même un prix littéraire : Fragonard distille sa part de rêve provençal au-delà des frontières. Entretien avec Charlotte Urbain, Directrice de la culture et de la communication de la Maison.

Pouvez-vous évoquer la genèse de Fragonard ?

Eugène Fuchs, l’arrière-grand père des trois sœurs, Anne, Agnès et Françoise Costa qui dirigent aujourd’hui cette belle entreprise familiale s’est s’installé à Grasse début du XXe siècle. Il y fait l’acquisition de deux manufactures du parfum qu’il rebaptise Fragonard en l’honneur du célèbre peintre grassois Jean-Honoré Fragonard.

En quoi la maison Fragonard est-elle atypique dans l’univers du Parfum ?

Par l’histoire évoquée et son attachement infaillible à la capitale du Parfum. Tous nos parfums sont « made in Grasse » : de l’idée créative à la mise en bouteille. Outre nos trois usines de fabrication, Fragonard c’est aussi un patrimoine culturel et provençal unique. Au fil des décennies, les collections d’art se sont étoffées et ont donné naissance à plusieurs musées répartis entre Grasse et Paris : les musées du parfum, musée provençal du costume et du bijou et le musée Jean-Honoré Fragonard. Quelle autre marque ou maison de parfumerie peut aujourd’hui revendiquer un patrimoine aussi riche?

Le voyage semble faire partie de l’ADN de la maison …

Depuis le XVIIIe siècle et certainement plus encore le XIXe – le siècle d’or des parfumeurs grassois, la ville réceptionnait des matières premières du monde entier. J’ai en mémoire ces superbes cartes géographiques de la maison Chiris, fondée en 1768. Elles mettaient en scène leurs nombreux comptoirs et usines, partout où poussaient les plantes aromatiques dans le monde. Par essence, Fragonard proclame aussi son âme voyageuse. Source d’inspiration et d’artisanat, le voyage est au cœur de nos collections d’art de vivre et de mode. Le point de départ fut l’inauguration en 1997 du musée provençal du costume et du bijou qui abrite les collections de textiles provençaux anciens patiemment acquis par Hélène Costa, la mère des dirigeantes actuelles.
C’était sa collection particulière et cet héritage a dessiné l’esprit des packaging maison colorés. Le musée a donné envie à Agnès et Françoise Costa de retrouver ses savoir-faire disparus en Provence, mais encore bien présents en Inde pour diversifier leur univers et offrir à nos clients une gamme de textiles raffinés et brodés. Du linge de maison à la mode, il n’y a qu’un pas et aujourd’hui, Fragonard propose un univers coloré et joyeux : parfums, cosmétiques, art de vivre, mode et accessoires.

Si vous deviez résumer l’esprit Fragonard en un mot ?

Le partage ! La clé de départ, c’est cette sensibilité initiée dès les années 1930. Les usines étaient ouvertes au public pour que chacun puisse découvrir les secrets de fabrication et acquérir une parenthèse parfumée, souvenir d’un moment heureux. J’ai d’ailleurs à l’esprit d’émouvantes images d’archives de GI après le débarquement, qui visitent notre usine historique et ont visiblement l’air séduit par nos parfums et également nos jolies employées de l’époque… Le partage pour Fragonard c’est une philosophie de vie. Comme en témoigne notre musée du parfum à Paris qui présente dans un écrin haussmannien toute l’histoire du parfum : ses matières premières, sa fabrication mais également plus d’une centaine d’objets d’art de l’antiquité égyptienne à nos jours qui racontent les usages au fil des siècles.

Fragonard a aussi initié un prix de la littérature.

Agnès Costa nourrit depuis toujours une passion pour la lecture, et plus particulièrement pour la littérature étrangère. Elle a eu envie de partager cette passion avec notre public et profiter de notre aura pour mettre en avant des richesses littéraires du monde entier. Parce que Fragonard est une histoire de femmes, il nous a paru naturel de soutenir la parole des femmes. Ainsi chaque année, notre prix récompense une femme écrivain mais également (et c’est assez rare d’ailleurs) son ou sa traductrice, car sans ce ou cette dernière et son talent, nous n’aurions pas accès à ces œuvres écrites en langue étrangère. « Quand vous ouvrez un livre, vous vous ouvrez au monde » disait Bernard Pivot. Vous voyez, restons dans la philosophie maison.    

Comment définiriez-vous l’identité olfactive Fragonard ?

Notre mantra, c’est la naturalité, la qualité et l’accessibilité. En qualité de parfumeur et fabricant, notre ambition est de proposer une palette aussi large que possible de toutes les tendances.

Avec pas moins de 400 références, impossible de ne pas trouver un parfum à son goût. Évidemment, notre esthétique est fortement influencée par notre région la Côte d’Azur et nos créations sont teintées de joie de vivre et de soleil. D’ailleurs, notre mythique et emblématique est la Fleur d’Oranger crée par le parfumeur Daniela Andrier chez Givaudan sur un brief d’Agnès Costa, qui voue une passion pour cette matière première de parfumerie. Best-seller depuis plus de 20 ans, notre Fleur d’oranger est généreuse et terriblement addictive. Tous ceux qui la portent, l’aiment passionnément.

Tous les ans la maison célèbre une fleur éphémère !

Depuis de nombreuses années, nous mettons en lumière une fleur autour d’une collection et une campagne de communication qui lui est dédiée. 2024 a vu éclore un lilas élaboré de nez de maître par le parfumeur Aurélien Guichard, qui a su en capter toute la fraîcheur printanière et la discrète opulence… Un vrai jeu de contrastes. La collection parfumée est éphémère, puisqu’elle dure un an et l’expérience se complète par des animations pendant laquelle le participant peut faire sa propre eau de toilette lilas, plus fraîche, plus florale ou plus intense. Ces ateliers sont très appréciés car ils permettent de s’initier à nos savoir-faire et toucher du doigt un art précieux et méconnu. Ils participent à notre souci de partage et d’éducation olfactive.

Profitez-vous de l’engouement pour le parfum de niche ?

Ce que j’observe, c’est une croissance de l’intérêt pour tous les savoir-faire du Parfum, une belle curiosité, comme si le public découvrait ce sens fondamental qui n’est toujours pas enseigné dans les écoles … Avec notre podcast « A Fleur de nez » on enchaîne les confessions olfactives (parfumeur-décorateur-agriculteur etc.). Ça plait beaucoup, l’engouement est aussi visible sur les réseaux sociaux.  

Enracinée à Grasse, la maison imagine-t-elle d’avoir ses propres champs ?

Chacun cherche son champ et c’est chose faite. Depuis trois ans on participe au patrimoine légendaire de Grasse en plantant rose, tubéreuse et jasmin dans l’idée d’en faire des jus issus de récoltes spécifiques. Il faut ici saluer la belle dynamique de la ville et de son maire, Jérôme Viaud, qui a choisi de garantir la pérennité d’un patrimoine rare. 

Pour vous quel rôle la Fragrance Fondation a-t-elle à jouer dans la mise en valeur des métiers du Parfum ?

La Fragrance Fondation fédère tous les acteurs du parfum et brise ainsi les barrières de la concurrence. On peut alors se concentrer sur des thèmes qui nous réunissent. Sa dimension didactique à l’égard d’un large public, pour faire comprendre le parfum dans tous ses éclats, nous rapproche dans l’esprit de partage… 

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