Par Axelle de Larminat
Posé à l’intérieur d’un hangar à Ivry-sur-Seine, le BioPod a des allures de vaisseau spatial. Conçue par la startup Interstellar Lab, cette serre gérée par une intelligence artificielle répond à un double objectif : préserver la vie sur terre et l’étendre dans l’espace. L’univers du parfum s’intéresse de près à ce module de bio-farming qui propose un mode de culture éco-responsable et se projette dans un futur durable.
Objectif : lune. Mais pas seulement.
La question de la biodiversité fait partie des défis de notre planète. Or, le BioPod a initialement été développé pour introduire de la végétation sur Mars ou la lune : des milieux inhospitaliers où la nature ne peut survivre. Ce mode d’agriculture de précision apporte donc une réponse aux grands défis de la terre, dont les ressources sont limitées. Le BioPod fonctionne comme une serre autonome capable de reproduire n’importe quel climat : tropical, désertique, ou alpin… Sur une surface disponible de 100 m2, les plantes y sont cultivées hors-sol, en aéroponie, et sont nourries par des solutions nutritives pulvérisées au niveau des racines.
Le milieu créé par le BioPod est optimisé grâce au concours d’une intelligence artificielle. Un algorithme gère en continu une quarantaine de paramètres : la température, le degré d’humidité, l’apport en CO2 nécessaire à la photosynthèse des plantes et à leur croissance… L’écosystème vit en quasi-autonomie et 99% du circuit d’eau est recyclé. « Une tonne de CO2 prélevée dans l’atmosphère terrestre est utilisée par le BioPod chaque année », précise Manon Gilles, directrice de la recherche et de l’innovation d’Interstellar Lab. Une agriculture vertueuse.
Pérenniser l’approvisionnement et faire éclore d’autres parfums
Au-delà de ses atouts écologiques, le BioPod répond à des enjeux spécifiques pour l’industrie du parfum. Il est un mode de production alternatif qui a un rôle à jouer dans la sécurisation du sourcing des naturels afin d’éviter les ruptures brutales. Fin mars 2024, lors de la Paris Perfume Week le groupe dsm-firmenich a annoncé son partenariat avec Interstellar Lab. Xavier Brochet, directeur recherche et innovation des produits naturels a expliqué : «En raison des aléas climatiques ou géopolitiques, nous devons faire face chaque année à un grand nombre de filières en sous-tension : jusqu’à 20 filières, et ce ne sont jamais les mêmes. Nous avons besoin de trouver des parades. »
Culture des plantes à parfums Culture des plantes à parfums BioPod, de l’extérieur
Le BioPod a vocation à accompagner les modes de culture conventionnelles, plutôt que de les remplacer. Rappelons que les maisons de compositions ont établi des partenariats équitables avec des communautés de producteurs locaux. Aux côtés de ces engagements éthiques, la cause de la nature est entendue. « Le BioPod préserve la biodiversité car il peut recréer n’importe quel climat. Par exemple celui du désert australien pour faire pousser une variété d’orchidée protégée » décrit Manon Gilles.
En amont de la chaîne du parfum, les maisons de composition de parfum travaillent à proposer des ingrédients qui viennent répondre aux sollicitations des marques. L’extrait d’orchidée, fleur d’exception, est très prisée par la parfumerie. Dans le milieu contrôlé du BioPod, sa culture devient soutenable, de même que celle d’espèces rares.
La science au service du vivant
Pour chaque espèce végétale, les équipes d’Interstellar Lab analysent toutes les données issues de la serre bioclimatique. Pilotée par l’IA, l’optimisation des apports (en eau, nutriments, CO2, lumière…) permet d’augmenter sensiblement la croissance végétale. In fine, ces réglages permettent également de raccourcir le cycle de vie d’une plante et d’effectuer des récoltes plus fréquentes. Ainsi, le vétiver cultivé en BioPod voit son taux de production annuelle multiplié par 9.
Geranium Géranium @dsm-firmenich Vétiver @dsm-firmenich
Dans la nature, certaines plantes ont besoin de stress pour donner le meilleur d’elles-mêmes. Par exemple, la variété de Santal Spicatum implantée en Australie a besoin de stress hydrique afin que la croissance de l’arbre soit stimulée et que le bois puisse être récolté. En reproduisant certains phénomènes de stress auxquels la flore est soumise dans son environnement naturel, Interstellar Lab vise à augmenter la sécrétion de certains composants naturellement présents dans une plante. Une fonction très utile dans la culture des plantes à parfum.
Les performances annoncées par la startup au niveau de la production de molécules aromatiques ouvrent de nouveaux horizons. Le patchouli issu du BioPod a multiplié son taux d’huile essentielle par 17 sur un an ! Le géranium rosat (au parfum de rose prononcé) a multiplié son taux d’huile essentielle par 9 sur un an.
La fine fleur des ingrédients
La parfumerie fine est un univers exigeant. Au-delà de la continuité dans l’approvisionnement, une sélection constante est opérée au niveau des espèces cultivées car la qualité des ingrédients olfactifs est essentielle. Les maisons de composition cherchent également à apporter aux parfumeurs-créateurs de nouvelles sources d’inspiration ainsi que des profils olfactifs inédits afin qu’ils imaginent les parfums de demain. Plantes rares ou oubliées, mise au point de techniques d’extraction innovantes, agronomie high-tech : toutes les pistes sont à explorer… Et le BioPod peut prendre une part active dans ces recherches.
Lors de l’annonce du partenariat avec Interstellar Lab, Fabrice Pellegrin, parfumeur principal et directeur innovation des produits naturels chez dsm-firmenich a exprimé son point de vue : « La nature est importante, car elle est gage de qualité, de signature, d’intensité et de performance. Il est nécessaire pour le parfumeur de disposer de cette matière pour pouvoir continuer à créer. Je pense que la nature est belle, extraordinaire, mais parfois perfectible. En l’embellissant, la science ouvre de nouveaux terrains de jeu. »
Aux côtés de dsm-firmenich, d’autres acteurs de l’industrie du parfum ont officiellement noué un partenariat avec Interstellar Lab. Ainsi, le groupe Robertet, leader dans les matières premières aromatiques naturelles, a fait l’acquisition d’un BioPod. Le groupe L’Oréal collabore également avec Interstellar Lab dans le cadre du programme Green Sciences Incubator. Ces alliances de savoir-faire de pointus permettent d’expérimenter et d’innover.
Répondre à l’intérêt croissant de la parfumerie, mais aussi des laboratoires cosmétiques et pharmaceutiques : c’est la raison d’être de la nouvelle usine de BioPod implantée à Ivry-sur-Seine.
Si l’objectif Lune est toujours bien en vue, Interstellar Lab sèmera aussi ses graines sur la planète terre.