Par Marie-Bénédicte Gauthier
Elle a une manière bien à elle d’envisager ses parfums : en 3D et en plaçant toujours l’humain au cœur de la création… Rencontre avec une parfumeure sensible.
Vous avez un parcours atypique dans le cercle des parfumeurs. Pouvez-vous nous en parler ?
Je suis tombée dans le parfum étant enfant, je n’étais pas du sérail grassois mais j’ai très vite senti ! Un de mes premiers souvenirs restent la sensation du soleil sur ma peau, son parfum chaud et musqué a déclenché quelque chose. Adolescente, je faisais tout le wagon du métro pour reconnaitre Poison, Opium et les autres parfums très signés de cette époque. J’ai ensuite appris avec Cinquième sens et Monique Schlienger, en parallèle d’un cursus à l’université américaine de Paris en histoire de l’art et psychologie.
Un de vos autres atouts, c’est d’avoir su établir un lien privilégié avec les plus grands.
C’est pour moi le pari de la transmission ! Je crois beaucoup à cette symbolique du mentor. J’ai appris aux côtés de grands parfumeurs qui m’ont transmis énormément et aujourd’hui, je mets en pratique cette expérience avec des jeunes parfumeurs chez Symrise.
Tout au long de mon parcours, je me suis nourrie de visions et de savoir-faire variés : de Bertrand Duchaufour chez Florasynth (anciennement Symrise), je retiens son prisme de l’art ; chez IFF à New York, où j’ai exercé pendant 7 ans, j’ai eu la chance de travailler aux côtés de Carlos Benaim avec sa passion pour les matières premières et de Sophia Grosjman avec sa créativité sans limite et sa fulgurance. Durant cette période, j’ai aussi collaboré avec Pierre Wargnye, grand spécialiste du patchouli. C’est avec lui que j’ai cocréé mon premier parfum, Intuition pour Homme de Estée Lauder.
Qu’avez-vous appris avec Sophia Grosjman ?
Sa manière de créer en puzzle ! Sophie travaillait les accords, formulant sans véritable pyramide. Il pouvait très bien y avoir des notes de tête, de cœur et de fond mais son approche venait véritablement des accords et non de la pyramide.
Je me souviens qu’elle formulait tout en fumant, tout comme Pierre Wargnye d’ailleurs, et à mon sens, ça t’apprend à faire des parfums très puissants.
Diriez-vous que vous mettez toujours le même affect selon les projets ?
Je m’implique différemment en fonction des projets. Il faut avouer que je me sens beaucoup plus libre quand il n’y a pas de compétition, on s’exprime plus aisément, sans appréhension. C’est typiquement le cas sur des parfums comme Jazz Club de Maison Martin Margiela, Couleur Vanille de L’Artisan Parfumeur, Luna et Solaris de Penhaligon’s, ou encore toutes mes créations pour Memo. Je collabore très régulièrement avec la marque, le dialogue est fluide avec Clara Molloy, la co-fondatrice de la marque.
Quand je travaille sur un nouveau projet, l’inspiration vient de partout, d’un ingrédient, d’une musique, d’une exposition… Pour Solaris, ma dernière création Penhaligon’s, j’ai pensé la fragrance comme un dialogue avec les astres, avec un départ très pétillant se métamorphosant en une sorte de boule jaune éblouissante de facettes chaudes sur un socle de santal. J’étais allée voir « Face au soleil », fabuleuse exposition au musée Marmottan à Paris, où rayonnait le disque vénéré des Egyptiens à travers différentes œuvres d’art. Cette exposition m’a marqué et largement inspiré pour la création du jus.
Vous avez aussi une passion pour le minéral, les pierres …
Il est vrai que je porte toujours des pierres. J’en change en fonction des jours, des mois, de mon état d’esprit et des projets sur lesquels je travaille aussi ! Chacune leur tour m’apporte ses bénéfices à un dit-moment. Par exemple, il y a quelques mois, je portais un jaspe bourdon, ces nuances veinées de jaune et de gris m’ont aidé à remporter un projet particulièrement important sur lequel je travaillais depuis de nombreux mois.
Cela représente la terre comme source d’inspiration infini ?
La terre a pour moi quelque chose de magique. Quand je suis arrivée chez Symrise, j’ai été frappée et impressionnée par l’implication de la maison à Madagascar, j’ai fait partie des parfumeurs qui ont vivement encouragé la direction à multiplier nos engagements là-bas.
Je suis aussi sensible aux partenariats que nous menons avec les producteurs et artisans à Madagascar, dans le bassin grassois et dans bien d’autres régions du monde. Quand je formule, je veille donc à utiliser le plus d’ingrédients issues de ces partenariats. Comme le jasmin cœur de saison, un ingrédient que j’utilise et que j’apprécie beaucoup. Rendre hommage à ces femmes Égyptiennes qui ramassent les fleurs, assister à tout le processus de transformation, cela apporte au parfum une aura particulière.
J’aime aussi utiliser les captifs Symrise, des ingrédients synthétiques conçus par nos experts. Leurs utilisations permettent de protéger mes formules.
Quid des nouvelles technologies ?
Elles permettent de penser différemment. Chez Symrise, nous avons mis au point InnoScent™, une technologie qui permet de remplacer l’alcool par l’eau. Grâce à cette technologie, le parfum est plus rond dès le départ et il a une excellente tenue sur peau.
J’utilise tout particulièrement InnoScent™ dans mes créations pour la marque Hermetica, du groupe Memo International qui portent une attention toute particulière aux parfums qui s’expriment autrement sur la peau. Par exemple, une de mes récentes créations pour la marque, Pomeloflow, un pamplemousse litchi vétiver qui se dévoile instantanément et a une excellente tenue dans le temps.
D’autres technologies comme l’IA ou les neurosciences me fascinent. Chez Symrise, nous avons notamment Actimood, une technologie qui permet de créer des parfums avec bénéfices émotionnels grâce à des tests scientifiques.
Une autre chose qui vous inspire ?
L’histoire de la parfumerie. Prendre un classique, le twister, le réinventer pour s’essayer à une interprétation moderne, c’est fascinant. Comme de décliner un cuir comme Bel Ami, un peu fumé, l’étirer, le moderniser en un cuir souple daim blanc par exemple… Et j’ai des matières fétiches comme l’ambre, le labdanum ou la myrrhe que je décline en filigrane de beaucoup de mes créations.
Je soutiens d’ailleurs l’Osmothèque, le musée des archives de la parfumerie. Et qui abrite un patrimoine énorme !
Et puis finalement tout m’inspire : les voyages, des rencontres, des lieux, les gens…