Par Marie-Bénédicte Gauthier
Il a le parfum chevillé au cœur. Chez Takasago, Sylvain Eyraud, homme de flair nous parle de la Génération Z et de la nouvelle conquête olfactive dans un monde en ébullition cognitive.
Takasago a mené une étude passionnante sur la Gen Z. Pouvez-vous nous en dire plus sur la méthodologie ?
Deux cibles ont été confrontées : la Gen Z, ses attentes, ses codes de consommation et la parfumerie dite de Niche, véritable laboratoire d’idées. Puis nous avons élargi notre territoire d’investigation en prenant en compte l’Europe, les USA mais aussi le Moyen Orient et la Chine qui incarne l’un des plus grands réservoirs de croissance en devenant à horizon 25/26, le deuxième marché mondial ! Enfin, avec nos partenaires, l’idée était de combiner une double approche : social listening des principaux réseaux sociaux (Youtube, Instagram, Tiktok, Douyin et Red en Chine…) avec Social Wire et consumer trends avec le cabinet de tendance international WGSN.
Qu’en est-il ressorti ?
D’abord, sans surprise, l’utilisation des réseaux sociaux comme moteur d’achat mais aussi d’éducation au parfum: 9 Gen Z sur 10 utilisent Instagram dont 62% quotidiennement, 6 Gen Z, sur 10, Tiktok. Ensuite nous avons réussi à identifier plusieurs communautés autour des thèmes suivants : Neo Nature, Active Wellbeing, Revival Spiral, Inclusive Diversity, Cultural Anchor, Self-Enhancer & Beautyverse.
Le parfum exercerait-il une mutation ?
Oui c’est indéniable post Covid. Je dirais qu’on a rendu l’invisible visible ! Entre durabilité, wellness, inclusivité et identité, il s’affirme comme un véritable totem, comme un symbole d’empowerment. La crise sanitaire a joué un rôle central d’accélérateur de tendances tant au niveau de la prise de conscience écologique que de la nécessité de penser à son propre bien-être holistique. En Chine, par exemple, le pouvoir émotionnel d’un parfum se vit en XXL. Il devient point d’ancrage, de recentrage pour se sentir soi, se sentir bien.
Quelle vision en avez-vous chez Takasago ?
En tant que maison de composition, l’un de nos objectifs est de répondre à l’expression de l’affirmation de la singularité de chacun. Dans un monde chahuté par la crise climatique, les guerres et les injustices, l’anxiété est intrinsèquement liée à la Gen Z ! Pour preuve cette étude de Harmony Healthcare IT qui rapporte que 61 % d’entre eux souffrent d’un trouble diagnostiqué par un médecin … Le parfum « coach » a un bel avenir devant lui en proposant des bénéfices feel-good, des solutions pour favoriser la relaxation, la déconnexion, la reconnexion avec la nature, le plaisir ou même le bonheur. Tout ça validé par les neurosciences grâce à de nouvelles méthodes de test et des solutions prouvées.
Une autre tendance qui se dessine ?
La nostalgie, un axe intéressant comme le prouvent les hasthag #trowback, #takemeback ou #onthisdate avec leurs milliards de vue. Nous travaillons sur la dimension héritage comme en témoigne la tendance Guocho en Chine, qui porte haut et fort la fierté d’appartenance à une culture nationale. Nous pouvons y répondre en mettant en exergue les savoir-faire, la culture, synonyme de qualité. Regardez le capot imitant la pierre de Jade taillée chez To Summer, marque chinoise, c’est éloquent.
La génération Z aurait-elle soif de culture ?
Absolument. Et d’authenticité. Elle dispose d’un intérêt tout à fait inédit pour le parfum. Regardez le succès des expositions comme Chanel N°5 le Grand Numéro, l’exposition éphémère Dior J’adore ou encore le film « Inside the Dream » qui relate le parcours créatif de leur parfumeur maison Francis Kurkdjian ! L’engouement sur Tiktok pour les sujets #perfumetiktok et #perfumetok ont respectivement 12.2 milliards de vues et 5.4 milliards de vues. C’est une belle opportunité pour les maisons de composition d’ouvrir leurs portes, de partager la conception d’un parfum du brief au flacon. Avec des parfumeurs qui se dévoileront demain avec toujours plus d’authenticité et moins de communication « formatée ».
Affiche de l’exposition Chanel N°5 Le grand Numéro @Chanel Inside the Dream, affiche du film @Dior
La niche a toujours mis en avant l’inclusivité. Qu’en est-il aujourd’hui ?
La niche reste la seule dans les circuits de distribution, à ne pas se retrouver dans un rayon féminin ou masculin. Mais côté sélectif, les frontières de la création tendent à se flouter. Les femmes empruntent sans complexe certaines icônes de la parfumerie masculine. Et inversement. On parlera d’une Lavande ou d’un Géranium au féminin, d’une fleur de narcisse ou d’une fleur d’oranger au masculin. Gentleman Society par exemple, signé par nos parfumeurs Karine Dubreuil Sereni et Maïa Lernout propose un quatuor intense de vétivers contrasté par une fleur de narcisse qui redéfinit les codes contemporains de la masculinité. Alors que Burberry Goddess distille une lavande ultra lumineuse et rafraichissante sur un trio de vanille exclusif absolu, infusion et caviar.
Quelle est votre définition du parfum de niche aujourd’hui ?
Même si les fondamentaux demeurent comme la qualité d’un jus, sa signature, sa dimension long lasting et la prime à l’audace et la créativité, elle est challengée dans plusieurs dimensions
1 – La valeur : la palette des prix s’est élargie, à l’instar de la couture qui coexiste avec la fast fashion. On trouve des collections exclusives, et des alternatives abordables (extensions Bath & Body care, échantillons ou discovery set).
2 – Le packaging : on observe une tendance forte vers plus de durabilité (flacon rechargeable, étui en papier FSC, jus), ainsi qu’une importance marquée liée au symbolisme historique.
3 – La communication : via la digitalisation par des influenceurs engagés mais aussi par les utilisateurs et leur cercle d’initiés. (Baccarat rouge et ses 658.5 Millions de vues sur Tiktok, Missing Person de Phlur et ses 200.000 pré-commandes sur liste d’attente, Delina de Parfums de Marly et ses 82,8 Millions de vue…). En réponse, le retail physique prépare son grand retour en remettant l’humain au cœur, entre retail de démonstration, expériences éphémères, lieux hybrides.
4 – l’engagement : au-delà de la fonctionnalité, réinventer un territoire unique d’expression émotionnelle.
Dans une parfumerie en ébullition qui ne cesse de redéfinir ses propres codes, l’authenticité et la crédibilité dans le discours restent fondamentales tout comme la singularité du mix qui doit faire la différence afin d’émerger sur un marché saturé.
On sait que les valeurs d’engagement des marques sont le facteur de levier N°1 d’achat d’un parfum*. Quelle stratégie pour se différencier ?
* Étude Kantar en collaboration avec la Fragrance Foundation France – Septembre 2023
3 mots me viennent à l’esprit : qualité, durabilité et innovation. La qualité face au développement de dupes bon marché (ou contrefaçons) qui inondent le marché. La durabilité avec un sourcing traçable toujours plus responsable, une green tech hallucinante de promesses et des formules plus courtes pour limiter au maximum notre empreinte carbone. Enfin, l’innovation comme levier pour pousser toujours plus loin la perception de notes de tête et de cœur, booster la longlastingness, réinventer les gestuelles (sans alcool par exemple qui offrent l’avantage de pouvoir intégrer des actifs cosmétique), prendre l’intelligence artificielle comme un outil d’aide à la création ou encore explorer les possibilités infinies des neurosciences.
Quel pourrait être le rôle de la Fragrance Foundation vis-à-vis de la Gen Z ?
En tant que membre du board de la Fragrance Foundation, je dirais que nous avons la mission de compréhension des attentes de cette nouvelle génération pour mieux les partager auprès des marques et des acteurs qui font le parfum aujourd’hui. Je suis sensible à notre rôle d’incarnation de ces différents métiers, notamment à travers de la Journée Mondiale du Parfum et quotidiennement sur les réseaux sociaux de la Fragrance.
Enfin, j’ajouterais un rôle d’évangélisation du monde du parfum, en permettant à la jeune génération de comprendre ce qu’est un parfum, et de pénétrer les secrets d’un métier au savoir-faire unique. Qui n’a pas fini de nous faire rêver…