Par Sophie Normand
Fondée en 2006, l’Association des Fleurs d’Exception du Pays de Grasse soutient les jeunes producteurs de plantes à parfum. Créant même parfois des vocations, elle a pour enjeu de préserver un terroir unique au monde et un savoir-faire transmis de génération en génération. A l’image d’Amandine et Bastien Rebuffel, que nous avons pu rencontrer sur leurs terres lors de la récolte de la Rose Centifolia en mai dernier.
Raviver un patrimoine florissant
Au début du XXème siècle, la production de matières premières naturelles en France se concentre principalement à Grasse. Le territoire, à l’époque, produit et traite 2000 tonnes de roses et 1800 tonnes de jasmin chaque année. Dans les années 50, avec l’émergence de matières synthétiques plus abordables, cette activité prospère entame un long déclin. Les industriels encouragent l’achat de naturels moins coûteux à l’étranger. Peinant à vendre leurs récoltes, les agriculteurs ont progressivement abandonné leurs champs. L’immobilier a peu à peu envahi Grasse, au détriment des terres cultivables.
Une histoire qui résonne avec celle d’un père et de sa fille Carole Biancalana. C’est pour la survie de ce métier et pour préserver ce savoir-faire que Carole fonde l’Association des Fleurs d’Exception du Pays de Grasse en 2006, accompagnée de Sébastien Rodriguez et soutenue par deux bénévoles Geneviève Juge et Catherine Peyraud du Club des entrepreneurs.
Visionnaire impressionnante, armée de passion et de courage, elle monte au créneau comme elle « monte à Paris », convainquant marques et maisons de composition de développer des partenariats avec les agriculteurs, à l’image du Domaine de Manon avec Dior. Un premier contrat qui a servi de modèle entre producteurs et grandes marques, garantissant la pérennité des exploitations de plantes à parfum et l’intérêt pour des producteurs de renouer avec ces cultures identitaires.
Solidarité, transmission et partage
L’Association des Fleurs d’Exception du Pays de Grasse a insufflé un nouveau dynamisme à Grasse. En rassemblant les jeunes producteurs en collectif, elle leur offre plus de poids dans l’industrie du parfum. Elle les aide aussi à sceller des contrats durables et équitables avec les marques et les transformateurs locaux.
Ce qui rend remarquable l’Association, c’est avant tout un véritable partage de connaissances pour la culture des plantes à parfum grâce à l’Aromatic Fablab, un modèle agronomique. Les aînés transmettent leur savoir-faire aux plus jeunes, à l’image de l’apprentissage du greffage par exemple. Chaque nouvelle technique de culture est expérimentée, chaque résultat partagé au cœur de l’association, afin de diversifier les essais et s’améliorer plus rapidement.
Culture de la Rose Centifolia @Frédéric Dides Culture de la Rose Centifolia @Frédéric Dides
Tournée vers le futur, l’association travaille étroitement avec des organismes de recherche agronomiques et une start-up utilisant de l’IA sur des projets de recherches appliquées.
Des informations ponctuelles aussi, relatives aux aléas du métier (météo, nuisibles …), sont également échangées au sein du groupe. “Sur le fil WhatsApp de l’association, nous partageons aussi des conseils pour des actions imminentes, comme les alertes de gel, de grêle ou de nuisibles. Cela n’apporte pas forcément de solution, car on n’évite pas un coup de gel, mais nous permet de nous sentir moins seuls et solidaires. C’est déjà beaucoup ! ” raconte Amandine Rebuffel, visage souriant.
C’est cette entraide, précieuse, qui a incité Amandine et Bastien Rebuffel à adhérer à l’Association dans le cadre d’une de leurs activités sur les fleurs blanches. Quatrième génération d’une famille de producteurs de plantes à parfums depuis 1865, ils ont repris l’exploitation du « Clos Notre Dame » en 2017. Virginie Gervason, fondatrice de Resperfuma, agence de marketing dédiée à la parfumerie, et mécène de compétences pour l’Association des Fleurs d’Exception du Pays de Grasse, nous a menés sur leurs terres familiales, à la découverte de leur production de Rose Centifolia. La Famille Rebuffel travaille en partenariat depuis de longues années avec la maison de composition Firmenich, qui les soutient dans leurs investissements et assure l’achat de 100% de leur récolte. Les fleurs, apportées quotidiennement dans les grands sacs en toile de jute jusqu’aux différents sites alentours de la société, sont transformées en précieux absolus par des méthodes d’extraction à la fois classiques et innovantes. Associés à Pascal Guignon, fournisseur historique de Firmenich avec qui il avait su relancer son exploitation familiale et faire revivre la tradition grâce à un partenariat exclusif, et accompagnés par l’association, ils cultivent également d’autres fleurs à parfum sur les terres et pour le compte d’une grande maison de parfumerie.
Pascal Guignon, fournisseur de Firmenich @Frédéric Dides Roses Centifolia dans un sac en toile de jute @Frédéric Dides
Une veille constante pour un produit d’excellence
Outre le jasmin, la famille Rebuffel cultive depuis peu la tubéreuse. Une culture plutôt récente, pour laquelle ils se perfectionnent, notamment grâce aux échanges au sein de l’association. Déterrés méticuleusement chaque année, puis nettoyés, dédoublés, les plants de tubéreuse sont replantés manuellement en avril, et désormais paillés pour rafraîchir la température et optimiser leur culture. La récolte se déroule en septembre, à une température inférieure à 29 degrés, pour préserver la qualité olfactive de cette fleur blanche opulente. “C’est la somme de ces petites attentions, de conseils précieux échangés au quotidien, qui construit notre savoir-faire collectif et qui font de ces fleurs un produit d’exception”. Une communication essentielle pour développer et pérenniser leurs cultures dans les meilleures conditions.
Depuis 2006, Carole Biancalana œuvre, à travers l’Association des Fleurs d’Exception du Pays de Grasse, pour remettre en lumière une richesse régionale et historique. Au-delà des jeunes producteurs, le cœur d’action de l’association agit en synergie avec tous les acteurs de la région. Et ce n’est pas un hasard, si la Mairie de Grasse a gelé des hectares constructibles, désormais réservés à la culture de plantes à parfum.
Un combat acharné et passionné que l’actuelle présidente de l’association, Armelle Janody, continue de mener avec le même entrain, pour pérenniser ce savoir-faire inscrit par l’UNESCO au patrimoine culturel immatériel de l’humanité? depuis 2018. Deux ans plus tard, l’obtention de l’indication géographique “Absolue Pays de Grasse”, portée par l’association dont elle est organisme de gestion, vient valoriser la qualité et l’authenticité des productions de plantes à parfums de la région. Autant de démarches grâce auxquelles Grasse continue de rayonner dans le monde entier.