Par Marie-Bénédicte Gauthier
L’homme Connecté Beauté
Jean-Philippe de Peretti cultive l’art de la discrétion mais sait vous saisir au vol lorsqu’il évoque MyOrigines, le site de l’e-commerce qui challenge l’univers du retail. Interview du fondateur de Divabox, un homme capable de bousculer les codes.
Pourquoi vous être plus particulièrement intéressé à l’univers de la beauté ?
J’ai pris goût à ce secteur dès mon plus jeune âge, on peut parler d’héritage familial. A la fin des années 40 mes grands-parents ont ouvert une parfumerie sur le cours Napoléon à Ajaccio. Mon père a pris le relais et moi j’ai eu la chance d’évoluer dans cette boutique. Et de connaître les grands lancements, comme Égoïste de Chanel, J’Adore de Dior ou les premières Aqua Allegoria de Guerlain. C’est ce monde magique et sensoriel à portée d’imaginaire qui m’a forgé. Les grandes marques étaient très présentes, on entretenait un lien fort avec elles. Avant le digital, j’ai eu l’expérience du terrain, une culture de la beauté.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la création de MyOrigines ?
Après un cursus universitaire, je suis rentré dans l’entreprise familiale et avec mon père et nous avons développé le réseau physique dans le bassin d’Ajaccio, j’avais quelques idées, j’ai analysé les besoins, les modifications sociétales en restant attentif au marché. Pour arriver à une conclusion : grâce à notre stock, je pouvais tenter la nouvelle aventure du e-commerce. C’était il y a 13 ans …
Ça s’est monté en mode start-up ?
Oui. J’ai démarré l’aventure avec un stock et les 10 000 € que mon père m’a donnés. Vous connaissez par cœur la légende de ceux qui créent leur entreprise avec rien de plus qu’un garage et du rêve ? Et bien chez nous ce n’est pas du story-telling ! Avec mon bras droit, Éric, on a commencé ce projet de e-commerce dans un sous- sol glauque et humide (un comble en Corse !) avec une ambition : trouver un nouveau modèle.
Et ça a tout de suite décollé ?
Je ne dirais pas ça… Pourtant le premier jour quand on a fait 5 ventes sur un site bricolé (à l’époque Oui Parfums), on y a cru. Puis on est monté à 10 ventes et la deuxième année on avait atteint les 1 million d’euros de chiffre d’affaires. Au départ nous étions concentrés sur l’axe parfum. Venant du retail, je pensais que le soin se devait d’être prescrit par des conseillères. A l’époque nous avons bénéficié de l’immense succès de la Petite Robe Noire de Guerlain et de One Million de Paco Rabanne. Ces deux blockbusters nous ont aidés à assoir notre notoriété. Ensuite on a composé sur les 3 axes beauté.
Quelle était votre force, votre différence sur ce réseau de distribution ? Votre politique de prix ?
A priori, ce n’était pas mon ADN, venant de la parfumerie sélective où il n’y avait pas de promotion. Mais sur le digital, il a fallu se réinventer. Certains sites mettaient en avant un système de promotions à des périodes de discount. Nous nous sommes engouffrés dans un système différent : proposer un prix, un seul, très attractif en observant les différents tarifs proposés sur tous les pure-players. Aujourd’hui nous voyons les choses autrement.
Avec un nouveau pari ?
Oui, plusieurs même ! A mon sens, le e-discount n’est pas l’avenir. Les marques de parfums n’ont pas tout de suite vu que les prix sur les différents continents n’étaient pas alignés. Ça a pu créer des distorsions mais on constate aujourd’hui que beaucoup veulent sortir de ça. Le parfum est un objet rare, le discount a fait perdre de sa valeur. MyOrigines a l’ambition de réformer cette rareté. Plus, d’y amener une valeur ajoutée.
Avec quels outils ?
La connaissance d’abord. Notre idée est de valoriser la parfumerie de niche dans les prochains mois avec des marges qui sont respectées. La niche progresse, elle prend une part de marché importante. Observons le groupe PUIG et ses acquisitions comme l’Artisan Parfumeur, Penhaligon’s ou plus récemment Byredo. Et Estée Lauder avec Jo Malone, Le Labo, Kilian ou Frédéric Malle. Je crois profondément en une parfumerie à l’aura « d’avant » qualitative, qui offre plus de rêve, de vérité.
C’est une demande du consommateur ?
Clairement. Le consommateur est presque mieux renseigné que les conseillers ! Il est branché sur Instagram, il a une appétence pour l’univers du parfum et a envie d’adhérer à une communauté d’afficionados pour en discuter. C’est un nouveau luxe, celui de la connaissance, d’avoir quelque chose pour soi, pour se sentir mieux, se sentir exister autrement. Le parfum a cette force, cette agilité. Avant ça pouvait être réservé à un milieu parisien, désormais avec le E-commerce chacun peut trouver le sillage qui lui ressemble, lui colle à la peau, à l’esprit.
Imaginez-vous créer une sorte de pépinière sur MyOrigines pour faire éclore de nouvelles marques ?
Sur notre site, on envisage une extension de nos magasins physiques, d’un vaisseau amiral (Maison Blanche) où l’on va renforcer la niche et ses acteurs majeurs, un projet soutenu et développé par nos équipes internes qui se sont beaucoup investies dans ce nouveau concept. La notion de pépinière est intéressante. Cela fait longtemps que nous avons envie de donner toutes leurs chances à des marques de parfums. On va même inventer quelque chose d’unique : leur permettre via une brand-place de vendre eux même sur MyOrigines. Plus qu’une market place, plus que les privilégier, on va les mettre en valeur, vendre, leur donner accès à notre audience ultra spécifique. Eux se chargeront de l’expédition ce qui implique que nous n’aurons pas de stock. Cela fait longtemps que j’ai ça dans la tête, sur les trois axes de la beauté …
Sur la thématique de l’intelligence Artificielle, allez-vous créer de nouvelles expériences clients. Quelles sont-elles aujourd’hui ?
Nos partenaires comme Sales Force ou Epsilon génèrent des insights, co-développent des outils pour décupler des relations privilégiées avec nos clients. Ce sont des interactions porteuses de sens, c’est exponentiel… ils mettront à disposition différents outils, des innovations. En parfums, néanmoins, le sujet est complexe. Il existe bien des technos qui peuvent recréer des parfums à sentir chez soi via un codage mais ça implique que chaque client ait le matériel adéquat. Pour le moment, c’est compliqué. En revanche notre SAV ne cesse d’évoluer vers un conseil très spécialisée pour guider olfactivement les clients. D’ailleurs nous allons externaliser une partie de ce SAV (colis etc) pour privilégier le conseil, avec des ambassadeurs experts formés.
Vous venez de lancer en propre une marque de soin. Avez-vous envisagé de lancer votre propre marque de parfums ?
En soin, il y avait une brèche, la place pour une marque « Bio Ecocert ». Là encore, nous l’avons imaginé en mode collaboratif et participatif avec l’ensemble des équipes de l’entreprise et aussi avec nos conseillères magasins qui ont validé les senteurs, les textures, c’est un beau résultat collectif.
En parfum, pour le moment, il y a beaucoup de choses, on préfère soutenir de nouvelles marques.
Comme d’autres acteurs du commerce, avez-vous vu le chiffre d’affaires augmenter post Covid ?
Quand j’étais plus jeune, on me disait qu’en temps de crise le parfum ne connaissait pas la crise ! C’est un luxe accessible, c’est peut-être ce que nous sommes en train de vivre. J’ajouterais que c’est un geste de réassurance de se parfumer … On sent cette énergie nouvelle autour de ce marché.
Avec l’arrivée d’Interparfums au capital, vous visez une croissance exceptionnelle à l’International. Comment envisagez-vous ce futur ?
Ce qui est remarquable, c’est que c’est une histoire de rencontres humaines, je ne cherchais pas de « Business Angel » … Nous avons une chance folle d’être tombé sur Philippe Bénacin et Jean Madar, je ne pouvais pas envisager de meilleurs partenaires. J’aime leur fonctionnement, leur intelligence, leur sensibilité. Et cette acuité ! Avec eux, tout est simple. Entrepreneurs dans l’âme, ils respectent notre vitesse de croisière, notre vision. Nous avons un objectif : faire 50 % de notre chiffre d’affaires en Europe.
Avec un focus sur certains pays ?
Une nouvelle technologie de Sales Force va nous permettre d’avoir des sites adaptés à des modèles locaux pour nous adapter en fonction de la culture parfum, par exemple, propre à certains pays. Nous allons faire du ciblage d’échantillonnages, le client pourra choisir, c’est passionnant comme aventure.
Comment voyez-vous le rôle de La Fragrance Fondation France ?
La Fragrance Foundation donne la parole à tous les acteurs de la parfumerie mais aussi aux nouveaux consommateurs. Le parfum c’est une culture, qu’il faut partager avec le plus grand nombre.