Connaissez-vous l’Osmothèque, le Conservatoire International des Parfums ?
Situé à Versailles, ce conservatoire de parfums unique au monde abrite une collection de 5 000 parfums pour la plupart dans leurs formulations originales. L’Osmothèque protège le patrimoine mondial de la parfumerie en conservant les création récentes ou disparues.
Le parfumeur Thomas Fontaine, ancien élève de l’ISIPCA passé par Mane et TechnicoFlor, fondateur de la société de création et de conseil en parfums Pallida, a succédé en 2020 à Patricia de Nicolaï à la présidence de l’Osmothèque. Il nous raconte ce lieu unique au monde.
Comment est née l’Osmothèque et quelle est sa vocation ?
L’Osmothèque est une association loi 1901, créée en 1990 par Jean Kerléo, alors parfumeur chez Jean Patou, et une équipe de parfumeurs confirmés, comme Jean-Claude Ellena, Guy Robert, Jeannine Mongin, Yuri Gutsatz, entre autres. Membres de la Commission technique de la Société française des parfumeurs, qui répertorie et classe les parfums lancés sur le marché, ils ont souhaité préserver le patrimoine olfactif de la parfumerie. Ils souhaitaient offrir à la profession et au grand public ses racines, et pouvoir illustrer olfactivement son évolution au fil du temps. Ils ont ainsi créé le premier et seul conservatoire de parfums au monde, une bibliothèque internationale des parfums.
Afin de constituer cette collection dont les parfums les plus anciens remontent au 1er siècle, il a fallu retrouver les traces de certains parfums aujourd’hui totalement disparus, mais encore reconnus aujourd’hui. Comme le dit Anne-Cécile Pouant, la Directrice déléguée de l’Osmothèque, « ses fondateurs s’intéressaient plutôt aux parfums des années 1880 à 1950, qui illustrent l’essor de la parfumerie dite « moderne ». Les élèves parfumeurs d’aujourd’hui viennent nous voir en nous demandant les fragrances des années 70, c’est pour eux l’antiquité de la parfumerie. Cette collection est pour eux, futurs créateurs de parfums, un formidable outil pour voyager dans le temps et l’histoire du parfum. Par exemple, nous pouvons illustrer avec cette collection plus de 100 ans d’évolution de la famille « chypre » en parfumerie.»
Cette collection est également constituée de collections plus contemporaines, et elle s’enrichit chaque jour par les apports des marques et des maisons de composition.
Qui sont les acteurs de cette association et quel est son fonctionnement ?
En tant qu’association, l’Osmothèque est constituée d’un Conseil d’administration composé des membres fondateurs de l’Osmothèque à savoir la Société française des parfumeurs, le Comité Français du parfum -la FEBEA, la CCI, l’ISIPCA ainsi que des Osmothécaires, et dont j’assure la présidence.
Tous ces membres sont bénévoles et en assurent une gestion désintéressée.
Ensuite, un bureau travaille plus étroitement avec moi au quotidien avec l’équipe permanente dirigée par Anne-Cécile Pouant qui assure le poste de Directrice déléguée depuis mon arrivée en 2020.
Un comité d’osmothécaires composé de parfumeurs, chimistes, historiens et experts de la médiation olfactive se réunit régulièrement pour préserver, développer, et faire connaitre les collections du Conservatoire. La cave qui rassemble l’ensemble de la collection est au cœur de toutes nos actions.
Un comité scientifique présidé par Isabelle Chazot organise la recherche et la convergence d’informations faisant avancer la connaissance de l’histoire du parfum à l’Osmothèque.
Enfin des bénévoles (étudiants, actifs passionnés, ou retraités) aident au fonctionnement du conservatoire qui est aujourd’hui considéré comme une véritable institution culturelle dédiée à la préservation du patrimoine olfactif du parfum.
Justement, quelles sont les missions de l’Osmothèque ?
Nous sommes la mémoire de l’industrie du parfum, à laquelle nous ajoutons une dimension qui touche de façon émotionnelle le public. À ce titre, notre vision du parfum est avant tout artistique et culturelle.
Nous avons trois missions principales. Tout d’abord, la préservation, le développement et la valorisation de nos collections de parfums : tenue à jour de notre cave à parfums, réception des nouveautés (mise en flacon, codification…), demandes de repesées à nos partenaires, conservation du patrimoine écrit (les formules de créations disparues). Ensuite, la transmission, au travers des nombreuses conférences olfactives, d’ateliers et de visites au sein des écoles, des EHPAD, ou chez des clients privés. Et enfin, la recherche et l’exploration : inventaire, projets de reformulation ou de reconstitution par exemple.
Ces missions convergent vers un objectif : faire vivre et grandir la mémoire des parfums.
Depuis sa création, l’Osmothèque s’adresse à tous les publics : professionnels, étudiants, collectionneurs ou passionnés avertis, ou grand public néophyte ou qui se passionne de plus en plus pour le parfum.
Combien de parfums sont-ils conservés à l’Osmothèque ?
L’Osmothèque représente les plus grandes archives olfactives vivantes de parfums au monde, stockant plus de 5000 créations (dont plus de 800 parfums disparus dans des formules que l’on ne trouve plus sur le marché).
Nous avons également une collection de quelques milliers de formules, et des matières premières et bases, rares ou introuvables.
Nos « entrées » de parfums se font de deux manières : soit en interne (nous refaisons les parfums grâce à la formule d’origine qui nous a été confiée), soit en externe (les marques ou maisons de composition nous envoient leurs nouveautés ou les parfums que nous souhaitons ajouter à la collection. Dernières arrivées à l’Osmothèque : Parfum d’Empire, Hermès et les marques du groupe L’Oréal.
Les entrées en interne sont des repesées au plus proche de la formule d’origine, avec les ingrédients originaux de la collection de l’Osmothèque. Par exemple, récemment les parfumeurs responsables de la cave ont refait les parfums Shocking de Schiaparelli (créé en 1937), Norell by Norell (1968) et Apple Blossom d’Helena Rubinstein (1948). Une quinzaine de parfums disparus « renaissent » ainsi à l’Osmothèque tous les ans.
Comment sont conservés les parfums et les matières premières ?
Les parfums ont besoin de conditions spécifiques pour être conservés dans le temps, qui concernent principalement la température, la lumière et l’air.
Ils sont conservés dans des caves réfrigérées à température constante de 12 degrés. Ces frigos sont recouverts d’une vitre teintée, empêchant l’excès de lumière qui pourrait abîmer la composition des parfums et les matières premières. Les flacons aussi sont en verre teinté anti-UV. Nous devons les maintenir à l’abri de l’oxygène qui est présent dans l’air des flacons, ce qui nous impose d’injecter un gaz inerte (plus lourd que l’air) qui va former une pellicule protectrice à la surface du parfum pour limiter son vieillissement.
Qui sont les visiteurs de l’Osmothèque et que viennent-ils chercher ?
Nous accueillons des professionnels qui viennent retrouver les origines de leur art , se replonger dans une époque, une famille, l’œuvre d’un parfumeur, d’une maison…
Les étudiants en parfumerie mais pas uniquement : en mode, marketing de luxe, arômes, chimie qui sont également très intéressés par le patrimoine de l’Osmothèque.
Certains viennent sentir des parfums qui n’existent plus ou alors souhaitent découvrir des parfums dont ils ont entendu parler mais qui ne sont plus commercialisés. D’autres viennent faire un voyage dans le temps, redécouvrir les grands accords de parfumerie, et les « chefs de file » des grandes familles olfactives.
Nous avons également des visiteurs à la recherche de souvenirs intimes qui cherchent à retrouver le parfum de leur grand-mère ou de leurs anciens amoureux : de grands moments d’émotions.
Quels sont vos projets pour 2023 ?
Dans la lignée des fondateurs, nous souhaitons continuer d’honorer la mémoire des parfumeurs créateurs, et faire connaître ces parfums disparus, qui constituent un patrimoine remarquable à transmettre aux générations futures.
Nous souhaiterions trouver un nouvel écrin parisien pour l’Osmothèque qui a besoin de plus de visibilité et d’espace pour sa collection qui s’est beaucoup développée ces dernières années, et pour accueillir ses différents publics avides d’en connaitre encore plus sur le parfum. Avec la renommée grandissante de l’Osmothèque, notamment à l’international, et les demandes des professionnels, nous avons également besoin de rendre le Conservatoire plus central et plus accessible.
Face à la transformation du monde du parfum, quels sont pour vous les enjeux de ce secteur ?
Le parfum véhicule une émotion, un voyage, une histoire. Toute la problématique qui existe autour de la législation ne trouvera de solution que si l’on considère le parfum comme un élément du patrimoine : les enjeux sont donc avant tout culturels.
Sur la question des enjeux environnementaux, il y a une vraie question sur la raréfaction des matières premières. Il est nécessaire selon moi de se concentrer sur ces problèmes en amont de la création d’un parfum. Nous réussirons encore une fois à dépasser cette problématique si nous positionnons le parfum à sa juste valeur. C’est là encore grâce à son angle culturel que le parfum pourra être protégé. C’est justement la mission de l’Osmothèque depuis plus de trente ans, en étant cette passerelle entre un monde professionnel et un autre culturel et grand public !