Par Marie-Bénédicte Gauthier
A la source de sa création, des rêves d’authenticité qui l’ont poussé à fonder sur ses terres familiales grassoises un domaine agricole biologique, et devenir ainsi le seul parfumeur à produire ses propres ingrédients. Toujours en verve, Aurélien aime procurer du plaisir et ça se sent ! Via ses parfums pour les plus grandes maisons et MATIERE PREMIERE, sa marque au service des plus beaux ingrédients de la parfumerie.
Quelle est la genèse de MATIERE PREMIERE ?
J’ai eu la chance de grandir dans une famille où le parfum faisait partie du paysage, de la terre à la création. Les odeurs étaient à disposition, j’avançais dans une quête d’idéal forte, avec une certaine idée de la parfumerie. Je me souviens de mon père (le parfumeur Jean Guichard) faisant porter à ma mère les essais de Loulou de Cacharel et du choc esthétique que cela me procurait. Ces dernières années, alors que l’uniformité des propositions l’emportait sur la singularité, j’ai eu envie de retrouver de la beauté, de la vérité. Je suis naturellement revenu à la terre de manière très concrète en plantant des roses, en prenant un statut d’agriculteur. C’est ainsi qu’à germé l’idée de MATIERE PREMIERE, de manière organique ! Avec mes associés Caius et Cédric on a rêvé d’une marque capable de transformer l’ingrédient en parfums …
IL Y A QUELQUE CHOSE D’ENRACINÉ DANS CETTE DÉMARCHE. DE PLUS EN PLUS DE MARQUES METTENT EN ÉVIDENCE LES INGRÉDIENTS DANS LE NOM DES PARFUMS. COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS CET ENGOUEMENT ?
Par l’envie du vrai. Les gens comprennent ce qu’ils portent et se laissent surprendre par une interprétation olfactive. J’ai choisi de mettre en avant cette forme de simplicité, avec, pour chaque parfum, une matière principale exceptionnelle, très dosée comme le santal, la rose ou le safran. A la manière d’un photographe qui montre un instantané de vie, mon désir est de saisir l’extrême beauté de l’ingrédient, sa complexité aussi. Je facette la matière en filigrane, selon ses atouts, ses faiblesses. J’exacerbe certains de ses traits identitaires, j’enatténue d’autres… C’est infiniment complexe et cependant lisible par tous.
Comment jonglez-vous entre votre travail de Parfumeur chez Takasago et MATIERE PREMIERE ?
J’ai trouvé un équilibre. Travailler au service de maisons comme Narciso Rodriguez, Issey Miyake, Burberry c’est engager un dialogue avec une marque qui possède un ADN, une vision. Je m’y faufile pour en saisir la patine, le fil conducteur, et j’arrive avec une écriture cohérente. Le plus important c’est l’écoute, la complicité : identifier ce qui va être beau à partir d’une idée brute. Tout seul mon travail n’aurait aucun sens. C’est la même chose avec MATIERE PREMIERE. J’ai besoin du dialogue avec mes associés, que tout concorde et que l’équation olfactive fonctionne parfaitement.
Du design à la formulation, MATIERE PREMIERE a quelque chose de très contemporain. C’est sa force ?
J’espère ! On l’a façonné dans cette optique, avec cette philosophie. En travaillant au service d’un ingrédient, j’ai voulu travailler un ADN à la fois structuré et moderne. J’ai toujours aimé la parfumerie des années 80, une parfumerie caractérisée par la personnalité, la présence forte des sillages. Pour nous le luxe de demain, c’est l’accès à la matière. J’exacerbe la texture de chacun de nos ingrédients centraux par une qualité extrême, une concentration extrême, en réintroduisant de la complexité dans les process industriels, avec des temps de maturation et de macération adaptés à chaque formule. Par une formulation essentielle, radicale, j’apporte, j’espère, ce luxe des années 80 sous une lumière différente, une forme de fluidité, de confort, mais avec une grande présence.
Gamme de parfums MATIERE PREMIERE Champ de tubéreuses
On pourrait dire qu’il s’agit d’une forme de fausse simplicité ?
Absolument. La matière première est un gage d’authentification, un accès à un luxe compréhensible par tous(tes). On pousse les curseurs pour la dévoiler sur des facettes inconnues. La consécration ? Lorsque le partage fonctionne et qu’on parvient à transporter son public. Par cette simple demande, dans la rue ou dans un taxi « qu’est-ce que vous portez ? ».
Quid de vos petits flacons, est-ce une manière d’initier le public à vos parfums à prix abordables ?
Oui, c’est plus que ça. Un 6ml, c’est 90 à 98 sprays soit un mois d’utilisation à portée de nez, de sac. A 30 €, c’est un luxe accessible qui permet aux consommateurs de vivre avec le parfum, de s’initier à une nouvelle matière aussi. En recevant des compliments, ils découvrent aussi une forme de plaisir, avec l’envie d’y revenir, d’acheter le parfum en 50 ml ou 100 ml.
La Fragrance Fondation a une démarche culturelle. Comment y participez-vous en tant que marque ?
Ce que j’observe avec MATIERE PREMIERE, c’est qu’il existe un mouvement culturel mondial, notamment drivé par les réseaux sociaux, qui est l’accès à la connaissance sur les matières premières pour comprendre les parfums, à l’instar du vin par exemple. La Fragrance Foundation a pour mission d’éduquer et de faire connaitre tous les savoir-faire liés au parfum. Même si le parfum est ancré en France culturellement, c’est une discipline d’ouverture qui prend en considération un patrimoine universel, riche de sa diversité. De plus, si le parfum est volatile par essence il n’en est pas moins réel. Dans un monde virtuel, on a besoin de cet ancrage olfactif pour signaliser notre présence au monde.