Par Luce Grossetete
Parce qu’il est lié à une histoire de création, d’art et d’artisanat, parce qu’il procure de l’émotion, le parfum occupe une place à part au sein du secteur de la beauté. À quoi ressemble son engagement dans le développement durable, plus précisément en matière environnementale et sociétale ? On peut l’imaginer, avec en son centre le parfum lui-même, le jus et le flacon ; et autour de l’objet, de façon intimement solidaire, les parties prenantes liées au parfum, du début à la fin de la chaîne de valeur : cultivateurs de matières premières, fournisseurs, laboratoires, instituts de recherche, conditionneurs, marques, distributeurs, associations, ONG et enfin, consommateurs finaux.
Impact environnemental et éco-conception du produit
D’un point de vue environnemental, quels peuvent être les impacts d’un parfum ? On pense aux émissions de CO2 liées aux besoins énergétiques ; on pense à l’eau, indispensable aux cultures des matières premières et à la fabrication des produits ; on pense à la biodiversité, sans laquelle les multiples plantes, fleurs et racines n’existeraient pas.
Les catégories d’impacts potentiels sont multiples ; tous produits de grande consommation confondus, la Commission Européenne en a retenu jusqu’à 16 dans ses recommandations de calcul d’empreinte environnementale des produits (« Product Environmental Footprint »1).
Ce calcul prend en compte tout le cycle de vie du produit, c’est-à-dire chaque étape de son existence, depuis l’extraction ou la fabrication des matières premières jusqu’à sa fin de vie, en passant par la fabrication, le transport, la distribution et l’utilisation.
La prise en compte holistique des étapes de vie d’un produit, ainsi que le calcul d’impact multi-catégories sur chacune de ces phases, favorisent la démarche d’éco-conception. Le Ministère de la Transition écologique précise qu’elle apporte « des gains environnementaux qui peuvent concerner la préservation des ressources et de la biodiversité, la prévention des pollutions et des nuisances, l’équilibre du climat, la destination des sols. À l’issue d’une démarche d’éco-conception portant sur un produit, il est courant de pouvoir constater des réductions d’impacts environnementaux comprises entre 10% et 40% pour plusieurs indicateurs2.
Créer un parfum selon ces principes peut orienter les choix créatifs et permettre d’éviter les « angles morts ». Soit le risque, pour un matériau, une matière première ou un mode de fabrication, de ne regarder qu’une étape du cycle de vie ou qu’une catégorie d’impact environnemental, sans voir que d’autres seraient autant, voire plus, impactantes.
Éco-conception et innovation vont de pair : un grand nombre de nouvelles techniques mises en œuvre dans le parfum sont liées à la recherche de réduction de l’impact environnemental.
Si l’on prend le verre, matériau majeur des flacons : il requiert pour sa fabrication de chauffer la matière à très haute température, ce qui signifie un poste important de consommation énergétique. Le verrier Verescence, par exemple, travaille sur l’électrification progressive de ses sept fours de fusion en France, en Espagne, aux États-Unis et en Corée du Sud. Cela constitue une étape clé pour atteindre l’objectif de Verescence de réduire ses émissions de CO2 de 40% à horizon 2034 (scopes 1 et 2). Il est prévu que le four 1 de l’usine Verescence de Mers-les-Bains sera le premier four du Groupe à utiliser cette technologie en 20253.
Upcycling du Curcuma par le parfumeur LMR Naturals by IFF
Un exemple à propos des ingrédients : l’upcycling, ou valorisation de déchets, pour créer de nouvelles molécules odorantes sans utilisation de matière supplémentaire. Cette technique est utilisée notamment par le parfumeur LMR Naturals by IFF, pour un certain nombre de matières premières. C’est le cas de l’huile de feuilles de curcuma, utilisée dans les parfums. Pendant des siècles, le curcuma a été largement recherché pour la curcumine présente dans ses rhizomes, vendue principalement aux industries nutraceutiques et pharmaceutiques. Grâce au partenariat de long terme noué avec l’entreprise indienne Nesso, l’un des principaux producteurs indiens d’ingrédients naturels, les équipes LMR et Nesso ont identifié plusieurs matières rejetées de la filière du curcuma qui possédaient des propriétés olfactives précieuses. Ils ont ainsi créé deux nouveaux ingrédients upcyclés : curcuma Leaf Oil India LMR, fabriqué en récupérant et en distillant les feuilles de curcuma, habituellement jetées, et l’extrait de racine Curcuma Ultimate™ , qui utilise des flux latéraux de matières premières de la chaîne de production de curcumine, substance qui serait généralement jetée.4
Engagement social et sociétal de toutes les parties prenantes
La filière parfum est constituée de multiples parties prenantes intimement liées, associées à la création et à l’existence d’un parfum. Pour les maisons de composition, un engagement social et sociétal implique, par exemple, de travailler main dans la main et sur le long terme avec les cultivateurs de matières premières ; pour les marques, il s’agit de s’engager auprès de leurs collaborateurs dans une démarche d’employeur responsable.
Dans le domaine de l’engagement sociétal, les partenariats sont clé : ils engagent tout l’éco-système. On peut citer le parfumeur Firmenich, qui a noué à Madagascar un partenariat avec un fournisseur de vanille et deux ONG. Firmenich travaille depuis 2005 avec le fournisseur malgache Authentic, dont la coopérative regroupe des milliers de producteurs de vanille répartis dans plus de 40 villages. Ces exploitants locaux recherchent des formations professionnelles pour optimiser leur production, diversifier leur production et sécuriser leurs revenus tout en transmettant à leurs enfants. Afin de contribuer à répondre à ces besoins, Firmenich, Authentic et les ONG Fert et Mahadera ont mis en place un programme qui permet de dispenser une formation agricole aux enfants du centre Mahadera5.
Toujours dans l’optique multi-parties prenantes, les marques et fabricants initient des projets en commun pour fournir une information transparente aux consommateurs finaux. On peut ainsi citer trois exemples d’initiatives récentes : l’Eco-Beauty Consortium6 , dont le but est de développer une méthode d’évaluation et un système de notation de l’impact environnemental des produits de beauté, et de communiquer cette notation aux consommateurs ; le Green Impact Index Consortium7 , qui a l’objectif de développer un outil d’affichage environnemental et social des produits de soin et de bien-être ; enfin, la B Corp Beauty Coalition8 , créée par 26 entreprises du secteur de la beauté, dont une des missions est de permettre la collaboration et l’échange entre les entreprises, et de partager les bonnes pratiques.
À la dimension émotionnelle que revêt l’achat d’un parfum s’ajoute en effet la nécessité rationnelle de connaître les engagements environnementaux, sociaux et sociétaux de toute la filière.
Références :
1https://ec.europa.eu/environment/eussd/pdf/footprint/PEF%20methodology%20final%20draft.pdf
2 https://www.ecologie.gouv.fr/leco-conception-des-produits
4http://lmrnaturals.iff.com/en/scent/lmr-naturals/overview, https://youtu.be/WXCCYcUxiOY
5 https://www.firmenich.com/sites/default/files/ESGReport_FY22.pdf
6https://www.capgemini.com/fr-fr/perspectives/blog/cosmetiques-consortium-ecobeautyscore/
7https://www.pierre-fabre.com/fr-fr/communique_presse/creation-du-consortium-du-green-impact-index