Hausse des coûts des matières premières, retards logistiques, stocks faibles, pénuries de composants : depuis quelque temps, la presse se fait l’écho de tensions pour les entreprises partout dans le monde. L’industrie du parfum n’est pas épargnée. Comment les créateurs sont-ils impactés dans leur travail ? Et quelles pistes proposent-ils pour l’avenir ?
« Le premier impact sur nous, c’est la hausse des prix », explique Céline Perdriel, parfumeur senior chez Cosmo Fragrances. « Avec la hausse du coût du pétrole, de nombreux ingrédients de synthèse deviennent plus chers, mais aussi moins disponibles. Il y a des problèmes sur les muscs, les solvants, mais aussi des ingrédients emblématiques comme le cis-3-hexenol (une note verte à l’odeur d’herbe coupée, NDLR) dont le prix a explosé en quelques mois ».
La synthèse est également liée à la disponibilité des naturels, d’après Christine Gladieux, directrice des ingrédients naturels pour la parfumerie chez Robertet : « Une grande part de notre industrie n’est pas de la synthèse pure, mais de l’hémisynthèse. Le litsea, par exemple, est utilisé pour la fabrication du citral, un ingrédient clé sur lequel il y a des tensions en Chine ». En Chine justement, certaines usines ont dû fermer pour réduire la pollution et les émissions de CO2 du pays, engendrant des pénuries pour tous les types d’industries.
Patricia de Nicolaï, fondatrice de Nicolaï, Parfumeur-Créateur Bois Bélize Intense (Nicolaï) revendique
de nombreux ingrédients naturels
Le naturel est lui aussi touché par des contraintes et des fluctuations de prix. « La vanille est devenue particulièrement chère, précise Patricia de Nicolaï. Pour d’autres naturels, il peut y avoir des soucis de disponibilité comme le Bay Saint Thomas que j’ai dû remplacer. Heureusement, je m’estime peu touchée par les problèmes d’approvisionnement car j’ai de bons stocks ». Elle rappelle aussi l’importance de la synthèse, notamment dans le discours auprès des consommateurs : « J’ai la chance de pouvoir utiliser beaucoup de naturels dans mes formules mais la synthèse est indispensable. Si la parfumerie était 100 % naturelle, la Terre serait vidée de ses ressources naturelles ».
Les pénuries et les problèmes d’approvisionnement ne sont pas des sujets récents mais ils ont été accentués par les mises à l’arrêt de nombreuses industries liées au Covid et à la forte reprise qui a suivi. Les retards de livraison sont nombreux, avec des containers qui attendent plus longtemps. En outre, la parfumerie se retrouve en forte compétition avec d’autres industries comme l’agroalimentaire pour les ingrédients naturels.
Ricardo Omori, de Symrise (©Romain Bassene) Vanille de Madagascar récoltée par Symrise
(©Alexandre Bonnemaison)
Ces phénomènes incitent les sociétés de composition à repenser l’approvisionnement et la disponibilité des ingrédients sur le long terme. L’une des pistes est d’internaliser de plus en plus la production d’ingrédients. « Nous avons décidé d’intégrer 100 % des ingrédients clés d’ici 2023 », explique Ricardo Omori, vice-président Fine Fragrance de Symrise. « C’est une stratégie initiée en 2010 avec des investissements importants, dont 250 millions d’euros pour une usine dédie à la chimie verte. Les nouveaux ingrédients captifs permettent par ailleurs de répondre à des enjeux de création et de substitution de produits. »
Pour un meilleur approvisionnement en naturels, il croit beaucoup à Madagascar, une île fertile avec un climat varié : « C’est un peu la nouvelle Grasse. Nous avons acheté plus de 200 hectares de terrain où nous cultivons de nombreux ingrédients comme la vanille, le gingembre, le vétiver ou la mandarine. » Dans sa démarche d’approvisionnement durable, Symrise assure un revenu sécurisé aux agriculteurs locaux et finance 76 écoles à Madagascar.
Une relation durable avec les récoltants est un point important pour un meilleur approvisionnement en naturels, confirme Christine Gladieux (Robertet) : « Nous établissons des partenariats à long terme qui soutiennent les économies locales, cela évite les ruptures totales et brusques d’ingrédients. »
Si le prix d’un ingrédient baisse, les agriculteurs peuvent en effet se tourner vers d’autres cultures, le temps que les cours grimpent à nouveau. Mais cela peut entraîner des problèmes de disponibilité de certaines plantes à parfums, comme le Petit-Grain au Paraguay. Une dimension spéculative qui se rajoute à des aléas météorologiques et au réchauffement climatique ; un cyclone ou une sécheresse peuvent faire grimper les prix d’un ingrédient d’une année sur l’autre.
Au-delà de ces problèmes ponctuels, les sociétés de création ont une réflexion en continu sur les stocks et le renouvellement de la palette du parfumeur, avec davantage d’ingrédients durables et renouvelables. « Chez Cosmo, le service Achats est très proactif, explique Céline Perdriel. Il fait un point chaque semaine avec les parfumeurs sur les ingrédients disponibles et les tensions. »
Une autre piste pour assurer l’approvisionnement d’ingrédients durables est la valorisation des déchets. Cette tendance, qui s’inscrit dans une démarche d’upcycling, permet ainsi de fabriquer des extraits végétaux à partir de déchets du bois ou de l’industrie agroalimentaire par exemple. Le Lilybelle de Symrise est une nouvelle molécule au parfum de muguet, obtenue à partir de déchets d’orange. Avec CycleScent, Robertet valorise également des sous-produits, comme avec le cèdre : la sciure et les copeaux sont des déchets de l’industrie du bois qui sont distillés par l’entreprise grassoise.
Nouveaux ingrédients, naturels plus durables, chimie verte, suivi plus régulier des stocks et des tensions… Autant de pistes pour les parfumeurs pour maintenir qualité et compétitivité dans un contexte économique tendu. Et si on ajoute les contraintes réglementaires croissantes, c’est un vrai challenge !