Maître-parfumeur chez Firmenich, Honorine Blanc est l’auteur de nombreux best-sellers : Black Opium d’Yves Saint Laurent, Woman de Calvin Klein, Voce Viva de Valentino, Yes I am de Cacharel, entre autres. Perfectionniste, elle allie une grande force personnelle à la sensibilité d’un véritable esprit artistique. Rencontre avec une créatrice inspirée qui croit au plaisir.
D’où vous vient cette passion pour la création de parfums ? Serait-ce un rêve de petite fille ?
Il est difficile de définir précisément à quel moment cela est arrivé. Ce que j’aime dans le parfum, ce sont l’évasion, le jeu des matières et l’exploration, cela va au-delà de l’odeur ou du glamour. Je suis une introvertie et c’est ma relation avec ma formule qui me passionne le plus et non le « succès ».
Très jeune, j’ai réalisé que j’aimais les produits de beauté… Ensuite, c’est à travers les livres que j’ai découvert l’univers du parfum. Née au Liban, je suis une femme orientale très attirée par la sensualité, les saveurs et la féminité…
Pourquoi avez-vous décidé de poursuivre votre carrière à New York ?
Après mes études à l’ISIPCA, j’ai eu la chance, lors d’un stage, de travailler à New York avec Sophia Grojsman et Carlos Benaïm, ce qui ne se refuse pas ! Et je n’en suis plus partie…
J’ai toujours été à la recherche du challenge et de nouvelles opportunités, ce que représentent, à mes yeux, les États-Unis. Lorsqu’on vit à New York, on a la liberté de s’exprimer. Ici, tout est possible. Street fashion, street artists, tout cela est venu d’ici. Les artistes, les créateurs, n’ont pas besoin d’avoir des racines dans ce métier pour pouvoir s’exprimer. On peut être indépendant et c’est ce qui me correspond, car j’aime être un électron libre. Je suis comme la ville, « the city that never sleeps » ; je pense à mes formules à tout moment de la journée. Il m’arrive de commencer dès 5 h du matin.
J’aime lorsque le désir et l’impulsion de créer jaillissent. J’ai besoin d’avoir la liberté de m’évader à tout moment. Je travaille également pour l’Europe et la Chine, même si ma carrière est à New York. En fait, je travaille sur tous les marchés, et j’aime ça !
Quelle création vous a le plus marquée ?
Chaque création me marque à partir du moment où c’est un challenge. Le contrôle d’un ingrédient naturel ou de synthèse, la maîtrise d’une imperfection dans une structure, la découverte d’une nouvelle texture me fascinent. Par exemple, j’ai découvert la texture du fluffy quand j’ai créé Viva La Juicy de Juicy Couture.
Il est toujours difficile de choisir mais je peux citer quelques réalisations récentes : Davana Cèdre de LilaNur, pour la maîtrise d’une certaine qualité de cèdre très puissante et au fort caractère. Amber Musk chez Aerin Lauder pour sa structure féminine, simple, élégante et moderne. Enfin, Nirvana Amethyst de Elizabeth and James, car j’ai créé autour d’une angélique verte et terreuse une nouvelle texture très addictive.
Qu’est-ce qui vous donne le point de départ d’un nouveau parfum : un endroit, une ambiance, une matière première ?
Je pars toujours d’un accord, créé à partir d’une d’impulsion, après la découverte d’une matière première, d’un plat, d’une œuvre ou d’une émotion. Tout m’inspire. Quand un projet arrive, je retourne dans mes accords qui deviennent les points de départ de mes parfums. Ces idées sont tellement fortes que je ne peux pas les oublier.
Je vis ma parfumerie, je suis très entière. Je ne sépare jamais la femme que je suis du parfumeur. J’aime les antagonismes, les contradictions, casser les codes, mettre un ingrédient dans un environnement qui ne lui convient pas. Je suis excitée lorsque je sors de ma zone de confort. Ce qui est encore plus addictif, c’est ce qui ne se voit pas du premier coup… Il est plus facile de choquer avec des overdoses que de maîtriser une imperfection.
Vous avez créé plus de parfums féminins que de masculins. Est-ce un choix personnel ou les aléas des briefings ?
Je suis passionnée par la sensualité et la psychologie féminine. Pendant très longtemps, cette sensualité féminine a été définie par le monde des hommes. De nombreux parfumeurs masculins l’interprétaient de manière dark, intense, à l’opposé de la sensualité féminine qui est selon moi onctueuse, lumineuse. Je crois au plaisir. Cette notion est très importante, et autant physique qu’émotionnelle. J’essaie toujours de l’introduire dans mes parfums, par la texture et les émotions. Plaisir et satisfaction sont très importants dans la sensualité féminine d’aujourd’hui.
Pour moi, un parfum n’est pas qu’une odeur ; c’est aussi une texture. Il m’arrive de travailler sur des parfums masculins, mais dans ce cas-là, je tente de sortir des codes du marché, ce qui n’est pas chose aisée !
Comment voyez-vous l’évolution de la palette du parfumeur, entre développement durable et règlementations ?
Ces nouveaux impératifs sont simplement le reflet des attentes des consommateurs, qui sont conscients du monde qui les entoure. Loin d’être des contraintes pour nous, nous les voyons comme des opportunités d’ouvrir un nouveau chapitre de la parfumerie responsable. Firmenich était déjà une entreprise largement reconnue sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Nous ouvrons de nouvelles voies pour l’avenir, en explorant des solutions avancées autour de la durabilité, de la biodégradabilité, des ingrédients naturels d’origine responsable, des technologies d’extraction de pointe, de la traçabilité, des ingrédients recyclés et biotechnologiques… Impossible de tout citer mais nos initiatives sont très larges !
J’ai été à la rencontre des cultivateurs dans différentes régions du monde, dont l’Inde et le Maroc : des moments inoubliables qui ont renforcé ma connexion avec le produit naturel.
Utilisez-vous les nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle, dans votre processus de création ?
Je suis très impliquée chez Firmenich dans tout ce qui relève des nouvelles technologies, car je crois que la parfumerie est l’art où l’on est encore le moins moderne. Quand on voit comment la musique, l’architecture, la peinture ont évolué et se sont libérées des pratiques traditionnelles, nous réalisons que nous sommes encore trop tournés vers les principes du passé. La technologie va nous permettre de restructurer nos parfums trop formatés.
Laissons l’intelligence artificielle nous donner le meilleur du passé, nous aurons ainsi plus de temps pour explorer de nouveaux territoires olfactifs et adopter de nouvelles visions et approches de nos formules.
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