Inspirations, palpitations, émotions, Jean-Christophe Hérault, nez chez IFF, nous confie ses souvenirs olfactifs, ses secrets et sa vision du métier. Un entretien très proustien !
Quelle a été votre première rencontre avec le parfum ?
C’est le parfum de Maman, Shalimar de Guerlain. La condition à mon entrée en apprentissage de la parfumerie a été la lecture du livre de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu. Rétrospectivement, cette lecture était fondamentale dans ma compréhension du rapport que j’ai au parfum. Il m’a révélé l’importance du monde des odeurs et des parfums, et le rapport si intime entre les souvenirs, les émotions, les personnes auxquelles les parfums sont attachés : la puissance émotionnelle des parfums.
Vous souvenez-vous de votre première création ? Et du premier parfum que vous avez porté ?
Ma première création s’appelait U, pour la marque espagnole Adolfo Dominguez. Un parfum pour femme, jeune, très floral, épicé, avec des baies roses et des fruits rouges pour un côté espiègle.
Et le premier parfum que j’ai porté, qui m’a profondément impressionné, c’est Joop! Homme. Je n’avais jamais rien senti de pareil, c’était un floriental complètement en rupture avec ce qui existait, une fleur d’oranger orientale, qui libérait l’homme de l’accord fougère.
Avez-vous des ingrédients fétiches dans votre travail ? Des odeurs préférées à titre personnel aussi peut-être ? Y a-t-il à l’inverse des odeurs que vous aimez moins ou pas ?
J’aime beaucoup l’ambroxan pour sa tenue, sa puissance, sa diffusion et sa sensualité propre, qui évoquent l’ambre gris. Il est par ailleurs très utilisé aussi dans les parfums pour le linge, et j’adore cette dualité propreté / sensualité. Et je m’interdis de ne pas aimer des ingrédients !
Voyages, cuisine, art… En tant que créateur, quelles sont vos sources d’inspiration ?
Je pense que l’inspiration est partout, et qu’il est impossible de citer une source plutôt qu’une autre. C’est d’ailleurs une position très proustienne, là aussi : l’inspiration peut être aussi bien un souvenir d’enfance qu’un moment partagé avec la personne que l’on aime, un paysage, une œuvre d’art… L’inspiration est réellement partout, et le chemin de l’inspiration est quasiment impossible à retracer.
Un nombre croissant de parfums s’affranchit de la question du genre. Comment voyez-vous la tendance évoluer dans les prochaines années ?
La parfumerie est le reflet de notre société, et aujourd’hui la question du genre, ou du non-genre, est comme dans la société, un sujet majeur. En tant que parfumeur, je pense qu’il n’y a bien sûr pas de hiérarchie ou de valeur intrinsèque attachée au genre, nous sommes avant tout des êtres humains. Je pense de la même façon que cette notion s’applique au parfum : j’aime l’idée que des hommes portent Shalimar, ou des femmes Joop! Homme, et que l’on puisse sortir ainsi de ces notions qui n’ont plus vraiment de sens. Dans Les Exceptions de Mugler, il y a un parfum qui s’appelle Supra Floral, une magnifique jacinthe, donc une note florale, et je sais que les hommes aiment beaucoup la porter. Je trouve formidablement émouvant que les consommateurs puissent aujourd’hui s’affranchir de ces questions.
Quel(s) parfum(s) d’un autre créateur auriez-vous aimé créer ?
Shalimar de Guerlain, Joop! Homme créé par Pierre Bourdon, Fahrenheit de Dior créé par Jean-Louis Sieuzac, Aromatics Elixir de Clinique par Bernard Chant, Alien de Thierry Mugler par Dominique Ropion et Laurent Bruyère, et Portrait of a Lady créé par Dominique Ropion pour Frédéric Malle…
Jean-Christophe Hérault, quel est votre luxe à vous ?
La liberté !