Nez à nez avec Chantal Roos, légende vivante de la Parfumerie Française.

Créatrice d’Opium, de L’Eau d’Issey et de nombreux autres parfums de légende, Chantal Roos travaille aujourd’hui avec sa fille Alexandra avec qui elle a créé la marque Roos & Roos. Elle nous parle de son parcours et de sa vision du parfum aujourd’hui.

Chantal Roos et sa fille Alexandra

Chantal Roos, vous avez une carrière olfactive exceptionnelle. Pouvez-vous nous parler de votre première rencontre avec le parfum ? Quelle est votre première création ?  

Ma première rencontre professionnelle avec le parfum s’est faite chez Coty France ; j’étais assistante marketing et je m’occupais d’un certain nombre de choses : de la PLV, de la presse… En 1976, j’ai été embauchée chez Yves Saint Laurent comme chef de produit international, et ma vie dans le développement de parfums a vraiment débuté cette année-là. J’avais une certaine candeur et j’appréhendais de travailler avec Monsieur Saint Laurent. Allais-je être à la hauteur ? L’entente pourtant a été parfaite. Dix-huit mois plus tard, Opium était lancé. 

Vous êtes la créatrice de nombreuses créations devenues des classiques de la parfumerie. De quels parfums êtes-vous la plus fière ?

On ne peut pas préférer un parfum, mais je dirais Opium, sans doute car c’est le premier. Nous étions en rupture de stock en permanence. Tout le monde était en colère après moi car on n’arrivait pas à livrer les magasins. Le lancement aux Etats-Unis a dû attendre un an car il a fallu prouver que mettre sur le marché ce parfum n’incitait pas les femmes à se droguer. Par la suite nous avons créé Kouros, Paris, Jazz… Mon autre fierté, c’est L’Eau d’Issey. Là, ça a été un vrai challenge. Monsieur Miyake m’a dit d’emblée : « Je n’aime pas les parfums ». C’était mal parti ! Dans la culture japonaise, se parfumer, d’une certaine manière, c’est envahir le territoire de l’autre. Mais à force d’échanges et de persévérance, j’ai fini par comprendre comment nous pouvions y arriver. « Pour une femme, l’esthétique olfactive, c’est la pureté de l’eau qui coule sur son corps  » a fini par me dire Issey Miyake. J’ai trouvé le designer pour le flacon, mais pour le parfum il me restait un mois. Lors d’un déjeuner de la profession, je rencontre un jeune parfumeur qui portait une chemise Issey Miyake. C’était Jacques Cavallier. Monsieur Miyake a été ravi du résultat. En fait, personne dans la profession ne nous attendait, le nom du couturier était imprononçable en parfumeries, mais le succès a été au rendez-vous. Deux ans plus tard, nous avons créé avec Jacques L’Eau d’Issey pour Homme. Aujourd’hui ça reste un masculin magnifique.

Opium (Yves Saint Laurent), Le Male (Jean Paul Gaultier), L’Eau d’Issey (Issey Miyake) et Stella (Stella McCartney)

On a parlé d’Opium et de L’Eau d’Issey. On aurait pu parler du Mâle de Gaultier et de nombreux autres parfums. Quelle est la méthode Chantal Roos pour créer un parfum à succès ?

Avant tout, je dirais la passion. Dès mon entrée chez Saint Laurent, j’ai compris que je ne pourrais jamais quitter le parfum. Pour autant, mon travail était avant tout du marketing. Je n’ai jamais eu honte de ce mot : je travaille pour une marque, dans un marché, c’est le début de la création. Le marketing, ce ne sont pas des chiffres dans des colonnes, c’est connaître son marché, aller à la rencontre des vendeuses et des clients… Pour chacun de ces parfums, une part importante de ma mission a été également de comprendre le couturier ou le créateur avec qui je travaillais. Stella McCartney aimait l’odeur de la rose, mais un certain type de roses. Pour M7, Tom Ford voulait un parfum charnel et c’est cette odeur de bois de oud, trouvée par Alberto Morillas, qui a fait le succès du parfum que nous avions initié avec Jacques Cavallier. Ni Tom Ford ni moi ne connaissions ce bois, qui n’avait jamais été utilisé dans les parfums occidentaux jusque-là. Pour Le Mâle, une autre histoire de parfum charnel, la rencontre avec Francis Kurkdjian a été déterminante. 

En 2014, vous avez décidé de créer votre propre marque avec votre fille Alexandra. Comment est né ce projet ? Comment vous répartissez-vous les rôles avec elle ? 

C’est Alexandra qui en a eu l’idée. Elle venait d’arrêter la chanson et m’a dit : « Tu n’as jamais eu envie de créer ta propre marque ? ». À l’époque, je travaillais pour des marques de parfums et ça m’allait très bien. Puis nous avons créé cette marque mère-fille. Alexandra, qui est une artiste, gère l’image, la direction artistique, mais elle rencontre aussi les parfumeurs. Même si elle vient de l’univers musical, elle est bercée par les odeurs depuis l’enfance. Et pour tout ce qui est réseaux sociaux, comme Instagram, elle est plus à la page que moi.

Vous avez travaillé avec de nombreux parfumeurs tout au long de votre carrière. Pour Roos & Roos, vous travaillez essentiellement avec Fabrice Pellegrin de Firmenich. Est-ce celui qui vous comprend le mieux ? 

J’ai de très bonnes relations avec Firmenich depuis longtemps et un jour on m’a présenté Fabrice. Nous aimons beaucoup travailler avec lui. Il aime la marque, il la comprend et c’est une vraie collaboration. Il a beaucoup de talent. Plus récemment j’ai rencontré Nicolas Bonneville, un jeune parfumeur extrêmement prometteur. C’est lui qui a travaillé sur nos parfums orientaux Smoke & Mirror et Purple Leather. Alexandra, de son côté, a collaboré avec Dominique Ropion d’IFF pour le parfum Pale Blue Eyes. Dominique est génial et tellement sympa. Il y aura sans doute d’autres parfums avec lui.

Mentha Religiosa, Pale Blue Eyes et Woods in Love (Roos & Roos)

En tant que créatrice, quelles sont vos sources d’inspiration ?

Beaucoup de choses m’inspirent. La nature bien sûr. Les voyages. L’amour. Paris d’Yves Saint Laurent est une histoire d’amour. Jazz, c’est un voyage. Mais dans ma carrière, ce sont surtout les créateurs qui m’ont inspirée. L’art également occupe une part importante. Woods in Love est un peu un parfum à la Matisse. Mentha Religiosa, par son design hypnotique, est un hommage à l’Op Art de Vasarely. Roos & Roos est aussi inspirée par la musique. Un de nos parfums s’appelle A Capella, et Pale Blue Eyes tire son nom d’une chanson du Velvet Underground.

Quelles tendances voyez-vous pour les parfums demain ?

Personne ne peut vraiment dire ce qui se passera dans le futur, on a déjà du mal à imaginer comment vont se passer les prochaines semaines ! Avec la crise actuelle, il y aura sans doute une plus grande prise en compte écologique et c’est tant mieux. Plus de naturalité, pas forcément dans les notes olfactives d’ailleurs, car le parfum, c’est surtout une rencontre, une émotion, de l’amour et de la sensualité. Sans doute davantage en matière de flacons et de packagings, avec des produits plus écoresponsables. 

Chantal Roos, quel est votre luxe à vous ?

Le vrai luxe, c’est de pouvoir partager du temps avec ceux qu’on aime. Pouvoir s’embrasser, ce serait déjà pas mal !

https://www.roosandroos.fr/

Partager cet article