Passion pour le patchouli, genre des parfums, différences culturelles… Bruno Jovanovic d’IFF nous parle de son métier de parfumeur et de sa façon de créer.
Bruno, pouvez-vous nous parler de votre première rencontre avec le parfum ?
Elle a eu lieu très jeune, ma mère était une amoureuse du parfum. Je me souviens très bien du temps passé dans sa chambre à sentir Shalimar de Guerlain, ou Calèche d’Hermès, puis ce fut le tour de Rive Gauche et Paris, tous deux d’Yves Saint Laurent. C’était pour moi la seule façon d’avoir ma mère toute la journée « avec moi », je n’aimais pas la partager avec son travail. Ma mère porte d’ailleurs toujours ces parfums, même si elle a depuis enrichi sa collection… avec mon aide !
Vous souvenez-vous de votre première création ?
Oui. À cette époque je vivais en Allemagne, à Munich, et le temps n’y était pas souvent clément. Je m’étais inventé un été somptueux pour lequel j’aurais eu besoin d’une eau de toilette ultra fraîche et naturelle. Je l’ai donc créée un jour d’août pluvieux et glacial. C’était une explosion de notes hespéridées peu conventionnelles, le long d’une trame verte très végétale. Je l’ai refaite récemment, et sa modernité m’a d’ailleurs surpris. Elle était déjà sans genre et universelle.
Avez-vous des ingrédients fétiches dans votre travail ?
J’ai une passion sans limite pour le patchouli. C’est l’ingrédient que je considère comme le plus emblématique de la parfumerie (pourrait-on même imaginer la parfumerie sans ?). Je dis souvent que si la magie avait une odeur, elle sentirait le patchouli. Cet ingrédient est à la fois terrestre, de par ses facettes de terre et d’humidité, et à la fois extra-terrestre. Il y a, en effet, à travers l’obscurité si terrienne, une lumière, quasi inexplicable et tellement inattendue, qui vous accueille à la première inspiration et qui ne vous lâche plus. Mes plus gros challenges créatifs sont de me passer de Patchouli !
Pour quels types de marques créez-vous ?
Je trouve de l’attrait à la variété. Comme en musique où je peux écouter, dans la même heure, du Borodine ou du Rihanna, j’aime passer d’un type de marque à l’autre. J’ai la chance inouïe de ne pas être limité quant à mon choix de clients avec lesquels je peux travailler. Alors je n’hésite surtout pas, dans une même journée, à passer d’un projet pour une marque de niche à un projet plus « mainstream ». De par mon expérience en Allemagne, puis aux Etats-Unis et en France, on vient souvent me demander conseil sur les différents goûts olfactifs de ces différents marchés. Ça tombe bien, je suis passionné par toutes ces petites différences culturelles qui font que mon métier est une éternelle source d’apprentissage et de surprises.
En tant que créateur, quelles sont vos sources d’inspiration ?
Nous avons le luxe de vivre dans un monde tellement relié, par tous ces nouveaux outils digitaux qui n’ont fait qu’enrichir le partage de l’information, qu’il est même parfois difficile de choisir par où commencer. La vie de tous les jours se charge de me fournir en inspirations, mon rôle est de m’y plonger et choisir ce que je préfère.
Quel(s) parfum(s) d’un autre créateur auriez-vous aimé créer ?
Féminité du Bois de Shiseido, pour son audace et sa façon si singulière de bousculer les codes de la parfumerie féminine. Angel de Mugler, le parfum qui a créé une nouvelle famille olfactive et changé le marché. Trésor de Lancôme et Portrait of a Lady ; je les mets ensemble car tous deux subliment de façon très différente la même protagoniste, Sa Majesté la Rose !
Quelles tendances originales voyez-vous pour les parfums demain ?
J’ai remarqué une grande ouverture d’esprit depuis quelques années. On ne se limite plus strictement aux tendances ou à la rigidité des structures d’antan. Je pense qu’avec tout ce qui se passe dans le monde, nous allons vers encore plus d’ouverture. Je vois davantage plus de « genderless » ou de « all-genders », mais aussi des genres magnifiés et exagérés, des parfums tellement globaux qu’ils s’affranchissent même de l’espace, de l’intemporel comme de l’instantané. Je vois une liberté absolue. Ce qui, pour un créateur, est un rêve, ce qui demande aussi plus d’autodiscipline. Il est facile de se perdre dans trop de liberté. C’est la peur de la page blanche, démultipliée.
Si vous n’aviez pas été parfumeur, quel autre métier auriez-vous rêvé d’exercer ?
Créer est une part essentielle de moi-même. Je pense que j’aurais adoré être écrivain. Cela m’aurait permis d’inventer et de poser sur le papier des univers totalement inédits. Mais j’ai aussi un petit rêve secret : Je suis passionné par tout ce qui touche à l’automobile, et l’un de mes rêves, je suis pilote de F1. Il y a dans cet univers de bruits, d’odeurs, de vitesse et de dépassement de soi, un soupçon de divin chargé d’adrénaline.