Ingrédients, naturalité, tendances… Irène Farmachidi de TechnicoFlor se confie sur son parcours et son métier de parfumeur.
Irène, pouvez-vous nous parler de votre première rencontre avec le parfum ?
Avant tout, j’ai été passionnée par les odeurs avant les parfums. J’ai eu la chance de grandir dans une maison avec un grand jardin arboré et fleuri tout proche de la forêt de Rambouillet. Enfant, les odeurs du coffret le Nez du Vin de Jean Lenoir me captivaient et je m’amusais de voir que j’avais des aptitudes pour reconnaître facilement toutes les odeurs, mon jeu favori. La cuisine m’a aussi beaucoup initiée à l’odorat. J’ai eu une sensibilisation très jeune aux odeurs mais l’orientation vers le métier de parfumeur s’est faite plus tard. Je me souviens, lors de mes études scientifiques, d’une interview de Jacques Polge qui racontait la création d’un parfum au camélia. Cela a provoqué un déclic en moi pour devenir parfumeur, une évidence.
Depuis combien de temps êtes-vous parfumeur ? Quel est votre parcours ?
On peut dire 20 ans. J’ai commencé à travailler au contact des matières premières au Laboratoire Monique Rémy lors de mes études à l’Isipca. J’ai ensuite été apprenti parfumeur chez Dragoco sous le tutorat de Dominique Ropion, Maurice Roucel et Martin Gras. Je suis devenue parfumeur en entrant quelque temps plus tard chez Charabot. Enfin, j’ai intégré TechnicoFlor en 2011. Le fait d’avoir travaillé avec différents grands parfumeurs est vraiment intéressant car chacun a une façon de composer extrêmement différente.
Avez-vous des ingrédients fétiches dans votre travail ? Des odeurs préférées à titre personnel aussi peut-être ? Ou à l’inverse, des odeurs que vous aimez moins ou pas ?
J’aime une palette très large de matières premières. Quasiment toutes quand elles sont de bonne qualité. Après, un peu comme les fruits ont leurs saisons, au cours de l’année, j’aime utiliser les unes ou les autres. Evidemment, c’est souvent l’été qu’on me demande de créer des odeurs de sapin de Noël et l’hiver des cerises ! Je n’aime pas la vulgarité dans les parfums : lorsque le sucre dégouline ou quand les bois secs sont tellement présents qu’ils cachent le propos, quand ils ne sont utilisés que pour la puissance au détriment de l’esthétisme. A l’inverse, j’aime la sensualité délicate de l’ambroxan. Mais j’aime aussi beaucoup l’amande : je trouve qu’elle apporte un côté souriant au parfum, y compris en association avec des notes contrastées, dans une cologne par exemple. En fait, il existe beaucoup d’ingrédients que j’aime et que je pourrais citer, comme l’iris, les muscs, ou d’autres plus rares que je garde secrètement pour de prochaines créations.
Pour quels types de marques créez-vous ?
En tant que parfumeur polyvalent, je travaille pour de nombreuses marques. Aussi bien pour des parfums alcooliques (conventionnels et naturels) que pour la cosmétique et autres produits d’hygiène, et enfin pour les bougies. Je crée aussi bien pour des marques de luxe vendant des parfums plusieurs centaines d’euros que pour d’autres dont les parfums sont vendus à moins de dix euros. Le choix des ingrédients n’est pas le même mais on peut réaliser une belle formule également. Je peux citer des marques comme Givenchy, Ormaie, Nuxe, Sylvaine Delacourte, Ulric de Varens, Monsavon…
Est-ce plus difficile pour vous de créer un parfum en formulation naturelle qu’un parfum traditionnel ? Plus stimulant aussi peut-être ?
Lorsqu’on crée en cosmétique ou en ambiance, on a l’habitude de travailler avec des cahiers des charges très compliqués et donc avec une palette restreinte de matières premières. C’est le cas avec la formulation 100 % naturelle. La complexité est renforcée par le grand nombre de labels, avec des cahiers des charges différents. La formulation dépendra aussi du support sur lequel on travaille. Ce n’est pas plus stimulant de travailler en 100 % naturel mais c’est passionnant car j’ai une affection particulière pour le naturel. Créer en naturel, c’est aussi avoir recours à des formules plus courtes, l’impact des ingrédients est très fort.
Quel parfum d’un autre créateur auriez-vous aimé créer ?
C’est une question que je ne me pose pas vraiment car je pense plus à ce que je souhaiterais créer plutôt que ce que j’aurais aimé créer. Mais je répondrais volontiers la première cologne, le premier chypre, le premier parfum gourmand… : être à l’origine d’une nouvelle famille ou tendance. Ce qui me plaît c’est de défricher ou de trouver des accords inédits.
Quelles tendances voyez-vous se dessiner pour les parfums de demain ?
Je pense que nous allons vers des parfums avec un sourcing de matières premières de plus en plus écoresponsable. TechnicoFlor est très en avance sur ces questions et j’ai la chance d’avoir de nombreux ingrédients accessibles dans ma palette. Concernant les grandes tendances olfactives actuelles, je ne pense pas qu’on ait tout créé. En musique, avec seulement 12 notes, on crée toujours de nouvelles mélodies. La chimie peut aussi apporter de nouvelles idées, ouvrir de nouvelles voies, comme l’a fait la calone en son temps.