Sarah Burri, jeune parfumeur a décidé d’entreprendre un tour du monde afin de découvrir et redécouvrir les matières premières et le parfum tout autour de la planète. Et nous avons décidé de la suivre !
Les mots de Sarah : Comme un parfum de voyage… de l’odeur d’une ville en liesse à l’odeur de soi.
Voici quelques jours que je voyage. Tous les voyageurs que je rencontre mettent un point d’honneur sémantique à différencier le touriste du voyageur. Le temps, le propos, le but – s’il en est un – n’est pas le même. Plus significatif encore en anglais : trip qui signifie aller d’un point A à un point B, n’est pas journey qui met l’accent sur la distance parcourue, le cheminement, ce (ou ceux) que l’on rencontre en route. The journey is the destination… scande une certaine Maison de Parfum qui m’est chère, Memo. Voyageurs, prenons le soin d’éviter de sauter de merveilles en merveilles, à voir trop de merveilles rien n’est merveilleux. Même à Paris, ville-musée, je m’efforce de voir les petits riens, des scènes de vie, notre temps, ici présent. Est-ce parce que nous baignons dans une ville-lumière que le Parisien est un peu éteint ? Et n’est-ce pas le métier d’artiste, celui de parfumeur, et notre mission que de tenter de continuer de voir la vie et les choses avec des yeux d’enfants, pour en sortir une vision qui nous soit juste et simple, qui va droit au cœur de l’autre ?
« Zeste d’orange, fritures, grillades, feu de bois et le soufre des pétards qui ne cessent de retentir, je découvre l’odeur de la liesse de la Buenos Aires des péronistes. »
J’ai lu et entendu que c’est à partir de trois mois qu’on entre véritablement dans le « rythme » d’un voyage au long cours. Je me suis pourtant retrouvée en pleine investiture du nouveau président argentin dès mon deuxième jour de voyage comme un poisson dans l’eau, ne sachant plus si j’assistais à un événement politique majeur ou à une victoire sportive nationale. La musique, les odeurs, des hordes de gens, investissent les rues où la circulation est arrêtée. Des étals d’oranges fraîches déversés dans un caddie, des monticules de douceurs qui charment plus par leur disposition pyramidale que par leur goût finalement plat et gras – cocorico, nous restons à ce jour les champions incontestés de la pâtisserie, quoique les gâteaux secs locaux fourrés au national dulce de leche, et saupoudrés de noix de coco râpée sont à se damner – et bien sûr … de la viande, des montagnes de viande. Marinée, découpée, grillée, rôtie, ficelée, en chiffonnade, en gigot, en jambonneau, la viande est déposée sur une planche de barbecue et cuite au feu de bois, le fameux Asado argentin, dont les rues sont remplies, emplissant la ville de leurs fumées blanches et de leurs halos parfumés. Zeste d’orange, fritures, grillades, feu de bois et le soufre des pétards qui ne cessent de retentir, je découvre l’odeur de la liesse de la Buenos Aires des péronistes.
Après trois jours de découverts et de rencontres, il est temps de partir pour la voisine Uruguay. Légère appréhension de quitter cette première auberge, comme une petite voix qui dirait : » Mais c’est ici maintenant chez nous, reste. » Au bout de deux jours, on prend ses repères, avec le sentiment satisfait et serein de rentrer chez soi après une longue journée. Comme notre cerveau aime le confort et la sécurité tiède du connu… Il me consterne un peu parfois, mais il n’est pas encore habitué, je le comprends, mais s’y habitue-t-il jamais ? Est-ce à cause de l’odeur ? Après une nuit seulement la pièce et les draps nous appartiennent, marqués de notre indétectable, inconsciente et indéfectible odeur, notre nous, notre identité propre, notre territoire animaux sensibles que nous sommes. Mon cerveau désorienté m’envoie même des petits vertiges en signe de contestation, alors je l’écoute, le fais méditer un moment, et puis ça va mieux, nous voilà réconciliés.