Dans l’univers du parfumeur-créateur Jean-Michel Duriez

Il a toujours aimé relever les défis. Il a été Parfumeur Maison pour Patou et Rochas. Il a récemment fondé une maison de parfum éponyme, Jean-Michel Duriez – Paris. Rencontre avec un parfumeur-créateur hors-norme. 

Jean-Michel Duriez – crédit photo Vasken Toranian


Quel est votre parcours ?  

En un mot, c’est le parcours d’un passionné. J’ai quitté Amiens, ma ville natale, pour intégrer l’Isip (actuellement l’Isipca) à Versailles, alors que mes parents me poussaient plutôt vers des études de droit. Au bout d’un an, cette formation m’est apparue comme trop technique et, à mon goût, pas assez tournée vers la création. J’ai préféré continuer à me former à Grasse chez Roure (une maison de composition aujourd’hui absorbée par Givaudan). J’ai obtenu mon premier travail en 1986, chez Etudes et Diffusions Olfactives, une petite société où j’étais le seul parfumeur. Puis, j’ai été engagé chez Kao Corporation en 1989 pour 8 ans.  

En 1997, j’ai succédé à Jean Kerléo en entrant chez Jean Patou. J’étais chargé non seulement des parfums Patou, mais aussi des licences Yohji Yamamoto et Lacoste. Ce moment a été passionnant. J’y ai appris le métier de Parfumeur Maison. Non seulement je créais pour les 3 marques, mais j’étais aussi le « gardien du temple » car je veillais sur la production, le sourcing et la qualité des matières premières. 

Cette mission a élargi mon apprentissage. Je suis devenu un ambassadeur de mes créations non seulement auprès de la presse, mais aussi auprès des réseaux de distribution et des équipes de vente. Cette activité est très formatrice. Elle permet de s’ouvrir sur les marchés et de voyager à travers le monde. Puis, entre 2001 et 2015, j’ai travaillé pour le groupe Procter & Gamble sur les marques Jean Patou et Rochas. 

Comment en êtes-vous venu à créer votre marque ? 

En 2015 j’ai quitté le groupe Procter & Gamble qui se séparait alors de ses activités parfum. À 54 ans, je me sentais prêt à lancer ma start-up. Aujourd’hui, je suis partie prenante dans la création, le marketing et le développement des flacons tandis que mon co-fondateur en assure la partie commerciale. Je suis aussi l’ambassadeur de mes parfums.   

On peut me considérer comme un aventurier. Mon parcours est atypique, j’ai toujours pris des risques. Dans mon premier travail, j’ai dû me passer de l’aide d’un parfumeur senior. Puis, j’ai osé relever le défi de composer des parfums pour des maisons de luxe, ceci après Joy ou 1000 ou Sublime… Je suis entré dans le cercle fermé des Parfumeurs Maison, puis enfin dans celui des parfumeurs-créateurs qui ont osé lancer leur marque éponyme. A vrai dire, nous sommes peu : Francis Kurkdijan, Mark Buxton et Patricia de Nicolaï… même si les marques Mizensir, Parle-moi de Parfum, Matière Première ou Ella K. émanent aussi de parfumeurs-créateurs. 

En fondant ma start-up, j’ai été poussé par une vraie envie de créer, non seulement sur le plan artistique, mais aussi en ajoutant d’autres cordes à mon arc : au plan de la finance, de la comptabilité, de la distribution… Même si le centre de ma vie reste la création de parfums.   

Pensez-vous que le parfumeur-créateur doive signer ses parfums ?

Ce serait le rêve absolu. Mais c’est un sujet qu’il faut contextualiser avant de se positionner. Le modèle de départ a été celui des créateurs de parfum comme Guerlain, qui signaient leur fragrance. Puis le parfumeur-créateur est rentré dans l’ombre en s’effaçant derrière une marque, notamment dans la mode. Un modèle économiquement gagnant où le parfum pouvait servir de tremplin pour les accessoires, par exemple.

Depuis 15 ans, des noms de parfumeurs-créateurs ont recommencé à émerger. Frédéric Malle, en tant qu’éditeur de parfum a donné une nouvelle visibilité aux parfumeurs-créateurs. Francis Kurkdijan, en ouvrant sa maison éponyme, a donné un coup de projecteur sur ce métier. Je suis très admiratif de ces deux personnalités et très heureux de m’inscrire dans leur sillage en ouvrant ma propre maison. J’assume mon parcours et mon nom. Il y a 5-6 ans, j’ai fait partie du Comité Français du Parfum, un cercle d’une dizaine de professionnels qui ont œuvré pour faire reconnaître le droit d’auteur des parfumeurs-créateurs. Aujourd’hui, il semble qu’il y ait une ébauche de changement. 

copyright Jean-Michel Duriez photographe Gérard Uféras

Quelles sont vos sources d’inspiration ? 

Un créateur a nécessairement des sources d’inspiration. Lorsqu’on est jeune, on est obsédé par son métier. On est très lié aux matières premières, on a envie de jouer avec elles, de créer ses accords. On admire les grands classiques du patrimoine olfactif, on a envie de faire aussi bien…

Au fil de mon parcours, je me suis aperçu que je cherchais finalement à recréer des souvenirs. Quand il est réveillé par une odeur, le souvenir devient une émotion. Par exemple, le matin, imperceptiblement, l’odeur du café me serre un peu le ventre, ou encore je suis réveillé par celle de mon gel douche. Les mécaniques de l’émotion passent par le souvenir. Parfois, il s’agit de grandes émotions. Par exemple, si je croise dans la rue une personne qui porte le parfum de ma mère ou d’un être cher. C’est l’effet « madeleine de Proust » et c’est ce que je recherche, un peu comme une drogue. 

Au fond, je ne crée pas des parfums, mais des souvenirs. J’étais encore chez Patou lorsque j’ai écrit cette phrase: « Le parfum est une émotion fluide ». J’avais l’image visuelle d’un flacon, un bel objet contenant un liquide. Dès lors que l’on « spray » le parfum, il ne reste visible qu’une micro-seconde. Il passe de l’état physique à l’état émotionnel via un circuit de réception. Je vois la vie comme une rivière de parfums qui nous communique des ondes et nous font vibrer. 

Pouvez-vous nous parler de votre processus de création ?

Il y a toujours 2 parties dans ce processus : une partie plus technique et l’autre plus impalpable qui fait appel à notre mécanique adorée des émotions. Tout comme un Chef commence avec le dessin d’une assiette ou un Pâtissier avec celui d’un gâteau et finit par donner vie à des émotions absolues. Je pense que l’amour du métier est nécessaire et qu’il est animé par une petite musique : celle des matières qui se combinent en accords et donnent naissance au parfum. Lorsque j’ai une idée, je crée une formule, je la pèse et je lui donne vie. 

Si je ne suis pas moi-même ému par un parfum que je crée, je ne le propose pas à mes clients. Je souhaite qu’il soit achevé. Ainsi, j’ai décalé au mois d’Octobre la sortie de W/OOD ROSE, prévue initialement en Juin, car je n’en étais pas pleinement satisfait. Je vois la création comme une forme d’art.  

Aimez-vous collaborer avec d’autres créatifs, venant d’autres domaines ? 

Oui, j’adore collaborer avec d’autres artistes ! Pour la  première présentation de ma marque dans un pop-up store, j’ai collaboré avec l’artiste Noé Two qui a réalisé une grande toile peinte, en prenant comme support 168 coffrets du parfum « L’Étoile et le Papillon ». Une belle rencontre visuelle de nos univers ! Chaque client repartait donc avec un parfum et en même temps un morceau de la toile d’un artiste coté. 

Je travaille régulièrement avec le pâtissier Pierre Hermé. Pendant 3 ans, nous avons écrit ensemble le livre «  Au cœur du goût » – Agnès Viénot Editions – 2012. Nous avons élaboré de multiples accords pour la pâtisserie, par exemple la Tarte Joy. Nous avons co-inventé la recette du Macaron au Jasmin. Associé au Macaron à la Rose, il reproduit l’accord olfactif majeur du parfum Joy de Patou. L’idée de départ était de partir d’une infusion de thé au jasmin et de s’en servir comme d’un arôme. Le Jasmin Sambac utilisé dans le thé se distingue du Jasmin Grandiflora utilisé pour le parfum et l’odeur diffère légèrement. J’y ai alors associé un Absolu de Jasmin naturel de Robertet. Une démarche très « parfumeur » alignée avec celle de Pierre Hermé, qui a élaboré l’accord Rose-Framboise-Litchi d’Ispahan. 

Propos recueillis par Axelle de Larminat

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